La vacance présidentielle haïtienne
  • lun, 21/03/2016 - 15:38

Une lecture erronée de la Constitution de Haïti.

Parmi les grands changements apportés par la première révision de la Constitution haïtienne de 1987 figurent les dispositions relatives à la vacance présidentielle. Pendant longtemps, le président de la Cour de cassation s’était retrouvé sur ce siège fragile d’où il est vu, par tout président en fonction, comme un remplaçant potentiel. Récemment, cette Cour est restée pendant longtemps sans président, et l’on présumait - à tort ou à raison - que cela donnait une certaine paix d’esprit au Chef d’État en fonction. Mais l’amendement constitutionnel de 2011 est venu enlever cette fonction politique au chef du pouvoir judiciaire. Aujourd’hui, les modalités de gestion de la vacance présidentielle diffèrent en fonction du moment. Dans sa première version, la Constitution de 1987 prévoyait qu’«en cas de vacance de la présidence de la République, pour quelque cause que ce soit, le président de la Cour de cassation de la République ou, à défaut, le vice-président de cette Cour ou, à défaut de celui-ci, le juge le plus ancien et ainsi de suite par ordre d’ancienneté, est investi provisoirement de la fonction de président de la République par l’Assemblée nationale dûment convoquée par le Premier ministre». Au moins trois juges à la Cour de cassation sont devenus présidents de la République sous l’égide de cet article 149 de la Constitution de 1987. On peut citer Ertha Pascal Trouillot, Joseph Nerette et Bonniface Alexandre. Diverses critiques sont soulevées par les doctrinaires sur le fait pour le chef du pouvoir judiciaire de pouvoir devenir chef de l’exécutif. Certains y voyaient une atteinte au principe de la séparation des pouvoirs et, par-dessus tout, une menace de plus pour la sérénité et le caractère «apolitique» du pouvoir judiciaire. Mais ceux qui sont favorables à ce mode de gestion de la vacance présidentielle rappellent, aujourd’hui encore, que les deux «meilleures» élections tenues sous l’égide la Constitution de 1987 ont été organisées sous le règne d’un président de la Cour de cassation devenu chef de l’État, soit respectivement Ertha Pascal Trouillot (1990) et Boniface Alexandre (2006).
Le texte de la Constitution amendée, dont la validité fait encore débat, a opéré des changements radicaux dans la teneur de l’article 149. Le législateur fait une différence entre la vacance qui intervient dans les trois premières années du mandat présidentiel et celle qui se produit à partir de la quatrième année du mandat. La première partie de l’article 149 précise ce qui suit: «En cas de vacance de la présidence de la République soit par démission, destitution ou en cas d’incapacité physique ou mentale permanente dûment constatée, le conseil des ministres, sous la présidence du Premier ministre, exerce le pouvoir exécutif jusqu’à l’élection d’un autre président». Dans le second paragraphe du même article, le législateur prévoit ce qui suit: «dans le cas où la vacance se produit à partir de la quatrième année du mandat présidentiel, l’Assemblée nationale se réunit d’office dans les soixante (60) jours qui suivent pour élire un nouveau Président provisoire de la République pour le temps qui reste à courir». Ainsi, en lieu et place du président de la Cour de cassation, c’est aujourd’hui le Premier ministre, souvent choisi par le chef de l’État dans les formes prévues par la Constitution, qui incarne à ses yeux le prototype du remplaçant potentiel. Il est vrai toutefois que le législateur ne prévoit pas une seule personne pour exercer le pouvoir exécutif pendant la vacance, mais plutôt «le conseil des ministres».

REALITE POLITIQUE.
Mais il demeure que ce conseil se trouvera sous la présidence du Premier ministre. D’aucuns pensent que le législateur a, ici, minimisé une variable politique importante. En cas de coup d’État, le renversement politique risque de toucher aussi le Premier ministre lui-même et l’ensemble du gouvernement. Pour ce qui est de la vacance en fin de mandat, on peut aussi souligner que le législateur permet à l’Assemblée nationale d’élire un nouveau président provisoire, sans fixer les modalités de ce choix ni le profil de ce personnage. Aussi, le cas où le parlement ne serait pas fonctionnel au moment de la vacance présidentielle, n’a pas été prévu par le législateur de 2011. Il existe une différence apparemment simple, mais aux conséquences déterminantes entre la teneur de l’article 149 dans la première version de la Constitution et celle de l’amendement. Le constituant de 1987 avait pris le soin d’élargir ses prévisions à toutes les formes de vacance présidentielle, «pour quelque cause que ce soit». Mais cette dernière expression n’est pas reprise dans la version amendée.
La loi constitutionnelle du 9 mai 2011 qui a révisé la Constitution de 1987 a plutôt cité les causes de la vacance dont elle prévoit la gestion: «En cas de vacance de la Présidence de la République soit par démission, destitution ou en cas d’incapacité physique ou mentale permanente dûment constatée». Il y a donc lieu de croire que cet article 149 ne prévoit d’autres situations que celles qui y sont nommément citées. Ainsi, la vacance créée par le fait que le mandat d’un président arrive à terme sans que son remplaçant ne soit encore élu n’est pas expressément prévue par la Constitution en vigueur. Dans chacune des situations de vacance prévue par la Constitution amendée, des délais contraignants sont fixés en vue de l’organisation des élections. Tandis que le pays qui expérimente souvent la complexité des élections présidentielles ainsi que des commotions et des imprévus qui l’accompagnent, la loi constitutionnelle donne un maximum de 120 jours au conseil des ministres pour organiser l’élection d’un nouveau président de la République.
Lorsqu’il s’agit de combler une vacance en fin de mandat présidentiel, l’Assemblée nationale, dont la composition est souvent plurielle, a seulement 60 jours pour se réunir et s’entendre sur le nom de celui ou celle qui doit devenir président de la République. Au final, la réalité politique haïtienne accouche souvent des réalités dont le législateur ne pourrait exhaustivement prévoir l’éventualité. Et quand viendront ces situations imprévisibles, les accords politiques remplaceront - hélas - les dispositions constitutionnelles.
EDDY LAGUERRE.
Le National,
Port-au-Prince,
6 janvier 2016.


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