Le grand défi
  • mer, 11/09/2019 - 04:08

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1467|MERCREDI 11 SEPTEMBRE 2019.

Jovial, le Premier ministre congolais l’est assurément. Mais ce Katangais lubakat qui sait rire et plaisanter peut aussi s’irriter, devenir bilieux comme de tradition, même se transformer en volcan. Des médias présents ce 10 août 2019 dans une salle du 1er étage de l’ex-Hôtel Kempiski Fleuve Congo quand il écorche vif un jeune du mouvement citoyen LUCHA ont vécu en live cette transmutation de Sylvestre Ilunga Ilunkamba. Venu décidé dans le cadre d’un groupe cracher des vérités en face au Premier ministre, ce jeune en ressorti avec un brin de traumatisme. Ce fut dans l’inter-règne alors qu’il consulte dans ce qui lui sert d’espace de travail au Fleuve Congo. Une vraie altercation...
Devant micros et caméras, ce jeune menace le Premier ministre de le traiter - oh! crime de lèse-majesté - d’incompétent sur les réseaux sociaux mais c’est par miracle si Sylvestre Ilunga Ilunkamba ne le pousse pas lui-même vers la porte.

UN TWEET RAVAGEUR.
«Je veux être clair dès le départ, entame le jeune homme de 29 ans. Je ne suis pas venu quémander un poste ministériel. Je suis venu vous demander, vous supplier de voir comment redresser la situation de la jeunesse délaissée pendant dix-huit ans de règle de Kabila», attaque Victor Tesongo. «Nous sommes les jeunes révoltés parce que nous avons été délaissés. Faites un tour dans les rues de Kinshasa et dans nos universités pour voir comment nous suivons les cours, voir comment nous vivons. Nous sommes le Congo de demain mais abandonnés». Puis: «Je vous demande de bien réfléchir avant votre investiture. Posez-vous la question de savoir si vous serez en mesure de répondre aux préoccupations de la jeunesse délaissée».
Et, de dégoupiller sa bombe qu’il transporte: «Pensez à nous sinon je serai le premier à écrire sur mon compte Facebook ou Twitter que Ilunkamba est un incompétent».
Le sang d’Ilunkamba n’a fait qu’un tour, le Premier ministre dégaine: «Il ne faut pas être présomptueux. Ne vous croyez pas capable de tout résoudre (...). Ce qui me déplaît en vous, c’est que vous avez l’assurance de tout savoir. Donnez-moi votre projet de société. Il ne faut pas résoudre les problèmes sur les têtes des gens».
Puis, il lâche la bombe: «Attention, vous menacez d’écrire sur les réseaux sociaux, mais... allez-y! Je m’en fous. Attention, jeune homme...»...

SE METTRE AU TRAVAIL».
Tous ont compris de quel bois Ilunkamba se chauffe. Alors que son équipe gouvernementale vient d’être rendue publique au matin de lundi 26 août où après une hallucinante nuit où l’homme âgé de 72 ans n’a pas fermé l’œil, le Chef du Gouvernement ne mâche pas ses mots.
Dans un tweet ravageur posté dès le lendemain, Ilunkamba dit «avoir du pain sur la planche».
Avant de décliner, dans un autre tweet plus explicatif, «toutes responsabilités ainsi que celles du Chef de l’Etat quant au profil des membres de mon Gouvernement». Et d’ajouter: «les noms nous ont été transmis par les plate-formes politiques, les services de renseignement ont aussi leur part de responsabilité».
Un compte attribué à Kasongo Mwema Yamba Yamba (du nom du porte-parole présidentiel) dénonce «la mauvaise foi des gros bras du @FcCnews qui se sont vus fermer la porte du Gvmnt a conduit à un casting désastreux. Dans le quota de cette plate-forme politique pourtant dirigée par un Prof bien connu, c’est du sabotage».
Si, avant lui, des Premiers ministres avaient pu choisir leurs hommes et femmes - même Antoine Gizenga s’était vu s’identifier à une expression rendue célèbre - «Yandi ve», «Yandi kaka» - pour récuser ou réclamer un nom - et que Matata Ponyo avait fait procéder lui-même au recrutement de ses ministres, faisant défiler dans une pièce du ministère des Finances, des candidats potentiels pour des interviews d’embauche, Ilunkamba s’est laissé désigner, sans en dire un mot, ceux avec qui il allait définir et conduire la politique de l’Etat sans avoir vu personne, certains candidats retenus sur la liste soumise à la signature du Président de la République, n’étaient souvent connus que de leurs mentors seuls. N’empêche! Quand il raccompagne ce samedi 7 septembre son prédécesseur Bruno Tshibala Nzenzhe au pied de l’immeuble où Emery-Patrice Lumumba, travailla en 1960, le Premier ministre de la République a ces mots à l’adresse de ses collaborateurs:
«Maintenant, on doit se mettre au travail». Depuis, Ilunga s’est donc engoncé dans son siège matelassé de trône. Le temps du travail a donc sonné. Il faut sans attendre au Premier ministre organiser et convoquer un séminaire gouvernemental de mise à niveau et amener certains des membres du Gouvernement à comprendre, à prendre la mesure de la charge gouvernementale.
Il y a les annonces... de campagne de l’alors Candidat Président de la République, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo. Voici désormais le pays face aux réalités. Sans aucun doute, Ilunga n’aura pas droit à un état de grâce. Les demandes au plan économique et social de la part de ses Concitoyens sont trop nombreuses et trop pressantes pour qu’ils lui fassent bénéficier d’un mois de répit qui lui donnerait le temps de prendre ne serait-ce que possession de meubles... A l’heure précisément des réseaux sociaux avec la veille citoyenne, le feu s’est vite transformé en incendie.
On peut regretter la forme de l’interpellation du Premier ministre par ce jeune de la LUCHA, il reste qu’elle porte un message de poids. Le Gouvernement n’aura pas droit à ses «100 jours» de période d’attente dans un climat politique délétère.
Nommé le 20 mai, Sylvestre Ilunga Ilunkamba a donc pris le poste de Bruno Tshibala Nzenzhe qui l’occupait depuis le 7 avril 2017.
L’homme ne manque pas de références. Docteur en sciences économiques appliquées de l’Université de Kinshasa, ce professeur d’Université fut plusieurs fois conseiller de Mobutu puis membre du Gouvernement (sous Mobutu), Vice-ministre et ministre dont du Plan et des Finances) avant d’être nommé sous Kabila au COPIREP, Comité de pilotage de la réforme des entreprises publiques, puis à la tête de la SNCC, la Société nationale de chemin de fer. L’expérience de l’Etat, Ilunga la connaît et maîtrise. Sans aucun doute...
Avant le vote positif de son programme, le Premier ministre a répondu aux questions que les députés nationaux lui avaient posées lors de la séance de présentation le 3 septembre.

CLASH AVEC POLITIQUES EN PERSPECTIVE?
Il a assuré que le budget à déposer par le nouveau ministre du Budget Jean-Baudouin Mayo Mambeke - un ancien député UNC - va déterminer chaque action à entreprendre, son chronogramme ainsi que son coût et le lieu d’exécution. «Le programme qui vous a été décliné n’est pas parfait. Il a au moins l’ambition de faire renaître, dans le cœur de chaque Congolais et de chaque Congolais, une nouvelle conscience et une nouvelle espérance», a-t-il déclaré. La question est de savoir pourquoi ce programme - le premier de la mandature Tshisekedi - n’est pas parfait ou, tout au moins, la perfection n’existant pas, pourquoi ce programme n’approche-t-il pas la perfection? C’est tout de même un aveu grave! A-t-il été élaboré ailleurs et le Premier ministre, économiste de renom et rompu en la matière, n’avait-il donc pas été associé à sa conception et à son élaboration et, du coup, s’en démarque-t-il à la suite déjà de l’équipe gouvernementale qu’il dit ne pas être la sienne, ni celle du Président de la République, mais des plate-formes politiques? Est-ce l’annonce d’un clash?
Dans un pays où tout est défi à relever, il faut craindre ce septuagénaire qui, en dépit de son air allègre, et qu’il est peu connu du grand public, s’est peu affiché politiquement - même au PPRD qu’il dit être son parti politique -, portrait-robot d’une personne de consensus qui a plu aux autorités morales des deux plate-formes en coalition, étant tout aussi un Katangais lubakatangais, homme de fer qui ne risquerait pas de mettre en jeu son honneur et sa dignité.
Comment ne pas se remémorer le vif échange qui opposa le 10 août le Premier ministre à ce jeune de la LUCHA au 1er étage de l’ex-Hôtel Kempiski Fleuve Congo (désormais Hôtel Blazon Fleuve Congo) quand le jeune accroche le Premier ministre en ces termes: «Pensez à nous sinon je serai le premier à écrire sur mon compte Facebook ou Twitter que Ilunkamba est un incompétent». Et le Premier ministre de répondre: «Attention, vous menacez d’écrire sur les réseaux sociaux, mais... allez-y! Je m’en fous. Attention, jeune homme...»...
S’ils n’ont pas pris part au vote d’investiture du Gouvernement qu’ils ont boycotté arguant que le Bureau de l’Assemblée nationale avait violé le règlement intérieur en programmant un débat sur un projet qui n’avait pas été déposé quarante-huit heures plus tôt aux députés, les députés de l’opposition avaient cependant pris part au débat du 3 septembre et qualifié le programme Ilunga d’«irréaliste et de chapelet de bonnes intentions». Si le Premier ministre a déclaré reconnaître et respecter le rôle démocratique de ces députés, il a indiqué que son programme est «une vision de redressement de la RDC, coulée en formes de déclarations de politique générale». Au fond, rien n’est gagné, tout est à conquérir. Y compris le cœur des Congolais...
T. MATOTU.


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