Sous gestion de la BCC, la banque Afriland CD reçoit un crédit salvateur de 50 millions de $US
  • mar, 05/07/2022 - 13:37

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1556|MARDI 5 JUILLET 2022.

Mise sous administration provisoire de la Banque Centrale du Congo, Afriland Bank CD va se faire octroyer par la Banque Centrale du Congo une ligne de crédit salvatrice de 100 milliards de CDF (environ 50 millions de $US). La décision a été annoncée vendredi 1er juillet par le ministre des Finances Nicolas Serge Kazadi Kadima-Nzuji à la réunion du Conseil des ministres, qui l'a approuvée. Il s'agit de permettre à cette banque, filiale congolaise du groupe AFB, Afriland First Bank, propriété de l'homme d'affaires camerounais Paul Kammogne Fokam, «une totale normalisation de ses opérations» en gardant ses guichets ouverts pour sa clientèle, en continuant de fonctionner normalement, a annoncé le porte-parole du gouvernement congolais Patrick Muyaya Katembwe. Comment cette banque en est arrivée à «une crise multidimentionnelle» dont parle en conseil des ministres le ministre des Finances. Tentative d'explication.

Après la faillite de la BIAC, la Banque internationale pour l'Afrique au Congo, qui l’avait ébranlée en 2016, le secteur bancaire congolais est-il en train de vivre une nouvelle crise ? L'affaire qui secoue Afriland First Bank CD depuis quelques semaines a un air de déjà-vu. Le 20 juin 2022, la BCC, la Banque centrale du Congo a annoncé la mise en place d’un comité d’administration provisoire pour assurer le redressement de cette banque d'origine camerounaise.

«Le conseil d’administration et la direction générale de cette banque sont dessaisis de leurs pouvoirs de gestion, à dater du 20 juin 2022», écrit la BCC dans une note au public diffusée le jour même. Un comité d'administration provisoire, composé d'un président et six membres, a été chargé «d’assurer la gestion courante de la banque et de présenter dans un délai de 180 jours un plan de redressement», écrit le communiqué.

Quelques jours plus tôt, lors du conseil des ministres du 3 juin, le mnistre Nicolas Serge Kazadi Kadima-Nzuji, a présenté un rapport évoquant une «crise multidimensionnelle» au sein d'Afriland First Bank CD. Depuis, le gouvernement congolais a demandé à la Banque centrale de prendre les «dispositions nécessaires pour protéger la stabilité du système bancaire et l’épargne du public dans les meilleurs délais».

Ce que les uns appellent désormais l'affaire Afriland First Bank CD à Kinshasa est une profonde crise qui n'a certainement pas encore révélé tous ses secrets. Et qui se traduit aujourd'hui par plusieurs conflits. D'un côté, la BCC - qui joue également le rôle de régulateur du secteur - et des actionnaires majoritaires de l'établissement s’opposent à un bras de fer juridico-administrative. De l’autre, les actionnaires minoritaires sont vent debout contre les actionnaires majoritaires qu'ils accusent «d'actes infractionnels».

DES FONDS PROPRES INSUFFISANTS ?
Pour comprendre le différend qui oppose la Banque centrale du Congo et les actionnaires majoritaires d’Afriland First Bank CD, il faut remonter à juillet 2021. Mois à partir duquel, selon les arguments de la maison mère de cette filiale, la BCC a progressivement retiré leur agrément aux membres du conseil d’administration de cet établissement, tout en maintenant un directeur général «désavoué» par les actionnaires majoritaires. Pour quelles raisons ?

Les propriétaires d'AFB parlent de tentative d'expropriation, tandis que la BCC, conformément au mutisme habituel des banques centrales, est peu diserte sur le sujet. Toujours est-il que quelques mois plus tard, s'appuyant sur les résultats d'un audit mené par ses propres services, la Banque Centrale, dirigée depuis le 5 juillet 2021 par Marie-France Malangu Kabedi Mbuyi, ancienne économiste au FMI, estimait les besoins en fonds propres de cette filiale à 90 millions de $US. Elle l'a fait savoir en mars dernier aux actionnaires majoritaires de la banque AFB CD, qui conteste fermement.

«Nous sommes un groupe financièrement solide et disposé à assumer ses responsabilités…», affirme Maurice Simo Djom, le responsable de la communication institutionnelle d'AFB à Yaoundé. Les fonds propres d’Afriland First Bank CD s’élevaient à 48,05 millions de $US en juillet 2021, selon la BCC.

Pour se défendre, il cite volontiers le dernier rapport officiel publié en août 2021 par la BCC elle-même, qui donnait un aperçu global de l’état des banques congolaises au 30 juin 2021. «Notre banque en RDC était largement au-dessus des fonds propres requis, affirme-t-il, cité par Jeune Afrique.

Afriland First Bank CD occupait la 7e place sur un total de 15 banques commerciales. [...] La BCC affirme dans ce rapport officiel que les fonds propres d’Afriland First Bank CD s’élevaient à 48,05 millions de $US à cette date-là. Il s’agit d’une situation largement satisfaisante, puisque la BCC affirme elle-même que sur un total de 15 banques opérant sur le marché congolais, 7 sont loin du minimum de fonds propres requis, qui, à cette date, s'élève à 30 millions de $US».

Selon ce responsable de la communication institutionnelle d'AFB, «des détournements massifs auraient été opérés en complicité avec des acteurs de la sphère sociopolitique» depuis que les actionnaires majoritaires «ont perdu le contrôle» d'Afriland First Bank CD en juillet 2021.

Selon les informations d'Africa Business +, les avocats de ces derniers ont adressé un courrier à la Banque Centrale le 23 juin pour contester la mise sous administration provisoire de la filiale congolaise, tout en lui reprochant d'avoir contribué à «la détérioration de la situation» de l'établissement.

De fait, selon Maurice Simo Djom, le groupe demande «un examen contradictoire des performances de la gestion [de la banque» durant les douze derniers mois, «afin d’établir les responsabilités et de savoir quel est le niveau réel des pertes éventuelles».

Reste que l'affaire Afriland First Bank CD est aussi un conflit entre actionnaires. Selon un document obtenu par Jeune Afrique, cette filiale est détenue à environ 77 % par AFB, basé à Genève, en Suisse; à près de 13 % par Afriland First Bank SA (Cameroun); et à 4 % par Paul Kammogne Fokam, le fondateur du groupe. Tous trois contrôlent ainsi près de 94 % du capital.

Face à eux, un groupe d’actionnaires minoritaires, constitué principalement de Congolais, dont Patrick Kafindo Zongwe, directeur général adjoint évincé le 21 janvier 2022 par un communiqué du Conseil d’administration d'Afriland Bank CD tenu à Kinshasa dont acte, dans un courrier adressé à AFBC D, fut aussitôt pris par le premier vice-président de la Banque Centrale du Congo, Dieudonné Fikiri Alimasi en ces termes : « La Haute direction de la Banque centrale du Congo a pris acte des résolutions du Conseil d’administration du 21 janvier 2022, en l’occurrence celles portant désignation des dirigeants de votre banque ».

Ces actionnaires minoritaires parmi lesquels de grands notables du régime Kabila, soucieux de protéger des intérêts obscurs et qui détiennent au total 3,5 % du capital, auraient tout fait pour bloquer le changement à la tête de la banque.
Dans un courrier adressé à la gouverneure de la Banque Centrale, le 3 juin, ils dénoncent «une supercherie dont [ils sont] victimes depuis la création de la banque».

En cause, notamment «deux contrats d'assistance technique» conclus entre Afriland First Group Management, AFGM, dont le siège est installé à Genève, en Suisse, et Afriland First Bank CD. Deux contrats ayant à peu près les mêmes vocations : «la gestion des ressources humaines d'une part et la gestion financière et comptable de l'autre» pour le compte de la filiale congolaise.

Selon le document signé par ces actionnaires, le premier des deux contrats, signé en 2009 à Genève, permet à AFGM de percevoir 10 % du chiffre d'affaires hors taxes de la filiale congolaise, tandis que le second, conclu en 2015 à Yaoundé, prévoit un prélèvement additionnel de 2 % à 4 %.

Le groupe des actionnaires minoritaires affirment que ses propres «investigations bien documentées» lui ont permis d'établir que l'accord de 2015 «est un contrat de façade établi pour les besoins de diverses missions d'audit (BCC, Commissaires aux comptes, DGI, Direction générale des impôts, etc.)». Tout en estimant que ce montage a fait «perdre à la banque quelque 15 millions de $US…», ils affirment vouloir saisir la justice congolaise pour que «leurs droits soient rétablis».

Dans ce même courrier adressé à la Banque Centrale, le groupe d'actionnaires minoritaires accuse le groupe AFB d'avoir perçu «des dividendes [...] sur la période allant de 2009 à 2018, alors qu'il n'avait jusque-là pas libéré sa quote-part du capital souscrit en 2009 à l'occasion [d'une] augmentation de capital en numéraire».
avec JEUNE AFRIQUE.


Related Posts