Poids politiques et fonction ministérielle
  • lun, 22/12/2014 - 02:20

Un débat lancinant a pris cours dans le microcosme politique sur le rapport entre poids politique et fonction ministérielle.

A partir du moment où un élu se fait dribbler par un suppléant en raflant un maroquin ministériel, on peut accepter l’incompréhension du premier dans la mesure où en général, le suppléant ne représente aucun poids politique et le candidat en titre l’aligne pour une simple question de procédure administrative. Mais il y a plus: à observer les us et coutumes qui ont cours au Congo, quand arrive le terme d’un remaniement ministériel ou une nomination à une fonction politique, il est demandé aux leaders politiques éligibles de disposer de trois hypothèses de nomination à chaque poste à pourvoir. La petite histoire rapporte qu’en l’espèce, les chefs de partis font montre d’infiniment de génie: ils rabibochent à l’infini des listes, en soignent la présentation, mettent en avant tel ou tel aspect de candidature.
Parfois, il s’agit de la même personne à qui on omet un nom ou un prénom ou on attribue ou pas tel ou tel aspect afin que cela n’échappe point à la personne en charge de faire des synthèses.
Résultat des courses: il arrive que deux personnes répondant au même nom se présentent à la nomination ou - plus grave - une annonce de nomination peut porter sur une personne virtuelle ou de compétence inconnue.
Le poids politique est l’argument le plus généralement avancé par les présidents des partis politiques et cela ne manque pas d’intérêt. Lorsque le cabinet Matata I est annoncé le 28 avril 2012, le premier ministre a certainement pesé de tout son poids pour constituer un cabinet resserré, formé de techniciens avec cinq ou six techno-politiques (Tshibanda, Mende, Kin-kiey, Bahati, Banza, Kabange, tous présidents de partis et membres du Bureau politique de la Majorité Présidentielle). Deux ans plus tard, la politique a repris ses droits avec la tenue des Concertations nationales. Du coup, en dépit des résultats réels (un taux de croissance de 9% certifié par le Fonds Monétaire International sans programme avec le FMI, une monnaie des plus stables), les surdoués ont pris eau de toutes parts, incapables de faire face aux assauts répétés des politiques.
Le casting n’avait certainement pas été des plus parfaits. Ce qui conforte cette sagesse populaire: «Si tu t’occupes pas de politique, la politique s’occupe de toi».
Cela dit, que signifie exactement cette notion de poids politique? Est-ce amener le leader à répondre à l’équation suivante: «J’ai aligné ça, je mérite ceci et réclame ça!»? Si oui, la politique serait de la simple mathématique, une science exacte... Ce qu’elle n’est pas et ne sera jamais. «J’ai aligné ça, je mérite ceci et réclame ça!». C’est croire que nous sommes chez le chaland, la spéculation en plus!
La politique, au fond, est quelque chose de très élevé, de très sophistiqué! Tout est à l’appréciation et à la discrétion du conducteur d’hommes qui tient compte de moult intérêts (le pouvoir discrétionnaire non discutable)!

PREVOIR, CALCULER, ANTICIPER.
La politique a ses maîtres, qui savent prévoir, calculer, anticiper. Lorsque, lors de son second septennat, François Mitterrand désigne en juin 1988 son pire ennemi interne Premier ministre avant de dissoudre l’Assemblée nationale, c’est certainement parce que Michel Rocard représente un poids politique réel au sein du PS mais c’est aussi et surtout parce que Mitterrand cherche à l’affaiblir et à l’éliminer et... y parviendra. Lorsque Mobutu rappelle aux affaires Jean Nguz a Karl-i-Bond après son exil européen, celui-ci représente pour l’étranger du poids lourd après la crise du campus universitaire de Lubumbashi et le Léopard éprouve le besoin d’approcher ce fauve en vue de calmer la vague qui monte et gérer son image externe gravement écornée.
«C’est unis que nos leaders de 1960 ont arraché l’indépendance! C’est unis que notre génération gagnera la bataille de l’émergence! (...) Avec la mise en place, comme promis, d’un Gouvernement qui réunit la plupart de nos courants politiques et forces sociales, puissant vecteur de cohésion nationale, et gage de succès de la lutte contre l’exclusion et la précarité, ainsi que du combat pour notre épanouissement individuel et collectif, nous nous rapprocherons davantage de cet objectif».
C’est un nouveau cap que Kabila a défini pour son pays. Ce cap a un prix...
De là, la sévère purge qu’il a opérée aux termes de l’ordonnance n°014/078 datée du 7 décembre 2014. Rarement un remaniement ministériel n’avait donné lieu à un tel coup de balai. Sur les 34 membres du Gouvernement que constituait le 28 avril 2012 l’équipe Matata, seulement 14 dont une vice-ministre ont eu droit de passer dans le compartiment suivant mais aucun, à proprement parler, n’a été upgradé.
Personne d’entre eux n’est ni Vice-Premier ministre, ni ministre d’Etat. Si le parti présidentiel PPRD voit son Secrétaire général propulsé au n°2 du Gouvernement, le n°3 va à un parti politique d’opposition censé apporter par son poids politique (ou symbolique) l’appui attendu à l’action de cohésion et d’émergence et le cinquième homme est un autre opposant (aile Kengo, le président du Sénat) qui, bien que très peu représenté au Parlement, dispose de «plus d’un tour dans sa manche», selon une expression historique. La semaine dernière, la chaîne nationale Rtnc, montré les images d’un membre du Gouvernement reçu au lendemain de sa nomination par le Sénateur François Kaniki, ancien avocat général de la République. Or, ce sénateur proche de l’UFC-Kengo, est le propre frère du Cardinal Laurent Monsengwo dont le poids politique interne et externe n’a pas besoin d’un dessin. La politique c’est comme la diplomatie: si les amitiés ne sont pas éternelles, les intérêts le sont, perpétuels. Les droit d’hier peuvent ne pas être les droits d’aujourd’hui, éternels? Que fait des membres de famille pour faire exister, développer et pérenniser le projet commun? Sans remettre en cause l’échec d’organisation de nos Législatives de 2011, sans exclure des correctifs au lendemain de l’annonce de Matata II, ce qui importe, c’est moins les lauriers d’hier que les enjeux de demain. Pour le chef de l’Etat, la question qui se pose aujourd’hui est celle de savoir comment le pays passera le cap de la cohésion nationale - celle de 2016 - et avec qui?
T. KIN-KIEY MULUMBA.


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