Mabunda pourrait perdre son marteau
  • lun, 16/11/2020 - 22:23

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1507|LUNDI 16 NOVEMBRE 2020.

Dans une toute récente vie, tous les deux ont eu un point commun. Ils ont eu maille à partir avec leur parti. Jeanine Mabunda Lioko n’a jamais été le choix des apparatchiks de l’ex-parti présidentiel mais celui personnel du désormais président statutaire du PPRD Joseph Kabila Kabange.

Un choix surprenant mais stratégique qui laissa sans voix les différentes autorités de ce parti, à divers échelons, qui, très vite, ont entrepris de défenestrer la «Chairperson». Choix salué néanmoins au sein de la communauté internationale au point où la Nancy Pelosi des Tropiques a été admise à Paris dans un club jusque là inconnu de femmes au titre de l’une des femmes les plus influentes de la Planète Terre ! Sauf que quand les grands médias vous montent, tout devient suspect et à l’ex-parti présidentiel, nul ne pouvait l’ignorer.

INCOMPETENCE,
MEPRIS, ARROGANCE.

A-t-on senti qu’elle pourrait être le prochain choix de «Shina Rambo» à la présidentielle à venir? Car très vite, la moutarde va monter de plusieurs crans au nez des apparatchiks invoquant incompétence, mépris envers les pairs, arrogance avérée, attitude vachement hautaine voire salace et très vite, une pétition est cognée pour la faire sauter. La dégager. Horrifiée mais pas toujours unanime, la communauté congolaise de la femme se met debout, entoure la soldat Mabunda qu’elle cherche à protéger, et à sauver. Juste un petit répit... Rien qu’un petit répit ! Bientôt la colère contenue au sein du PPRD-FCC va atteindre l’allié CACH.

Tout commence avec le dossier Malonda (le tout puissant secrétaire exécutif de la CENI Ronsard Malonda Ngimbi qui fit la pluie et le beau temps dans les bureaux de dépouillement et devant des juges électoraux), candidat présenté par le président fin mandat de la Commission électorale nationale indépendante Corneille Nangaa Yobeluo, entériné début juillet à la hussarde par la plénière de l’Assemblée nationale sans que ni CACH, ni le Président de la République n’en soit informé, au grand désarroi de tout un pays qui se déversa dans la rue en guise de protestation parfois violente.

LA COUPE
ETAIT PLEINE.

S’ensuit l’éviction pour le moins inamicale sinon carrément hostile du perchoir du 1er Vice-président du bureau de l’Assemblée nationale qui n’est autre que le tout puissant président a.i. de l’UDPS Jean Marc Kabund-A-Kabund. Puis, cerise sur le gâteau, mépris sinon outrage systématique de l’autorité et de la personne du Président de la République (recours à des communiqués de presse par attaché de presse pour communiquer avec le Président de la République, mieux, pour réagir aux initiatives présidentielles, refus d’assister à la cérémonie de prestation de serment des juges constitutionnels suite aux ordres du PPRD, etc.), la coupe était pleine. Sans doute trop... Mabunda peut-elle survivre?

Le marteau est-il en train de lui filer entre les mains? Selon des proches du dossier, ce n’est plus une question de jours, c’est une questions de minutes, invoquant «une détermination sans faille du Président».
Déjà, Bemba l’aurait lâchée estimant qu’il n’y a pas place pour deux crocodiles dans un même marigot...
Même état pour le Premier ministre.

Découvert tel un oiseau rare dans son Katanga natal à la tête d’une société des chemins de fer SNCC à la dérive avec un avenir incertain et du personnel des années resté impayé, celui qui fut de tous les ministères du secteur économico-financier sous Mobutu, désigné au COPIREP (réforme du portefeuille de l’Etat) par la même Jeanine Mabunda alors ministre du Portefeuille de Muzitu, apparut très vite comme l’homme du consensus, le moindre mal, face à des plus jeunes, plus aguerris, plus robustes, plus à l’aise dans des dossiers à l’agenda international, avec du carnet d’adresse (c’est éclairant qu’en deux ans, il n’ait jamais franchi la frontière et s’il a été ailleurs que dans son Katanga, c’est à moins de 150 kms à l’Ouest de Kinshasa), puis d’être rattrapé par les mêmes apparrachicks furieux que ce professeur d’Economie leur ait raflé si dangereusement la mise.

Très vite, les têtes couronnées du PPRD veulent cette proie. Convoqué pour l’obtenir, Sylvestre Ilunga Ilunkamba traite de tous les noms d’oiseaux ceux qui le prennent pour un incompétent, un faiblarad, un chétif - ce qu’il rejette en bloc répliquant que tous ses ministres, ils les lui ont été imposés, qu’il n’en a pas choisi un seul, ni formé seul son cabinet - avant de quitter les lieux en claquant la porte...
Douche froide et honte dans la pièce...

Le Premier ministre bénéficie alors d’un certain appui à la présidence qui estime que son départ ferait trop retarder la mise en place des réformes attendues des politiques publiques dès lors que les négociations pour lui trouver un remplaçant pourraient prendre des semaines voire des mois avant d’aboutir.

Mais ce sont précisément ces saillies de plus en plus précises de son parti qui lui font prendre conscience qu’il a intérêt à être de connivence avec sa base s’il veut espérer passer quelques moments encore au 5, avenue Roi Baudouin.
Ilunkamba s’est donc vissé sur son camp qui lui dicte désormais tout au point où lorsque l’hypothèse d’une dissolution de la chambre basse est évoquée par CACH, la réponse FCC est dans les mêmes éléments de langage : il n’y a ni crise, ni «crise persistante» entre l’Exécutif, à savoir, le Gouvernement et l’Assemblée nationale invoquant l’article 148 de la
Constitution qui n’entrevoit la dissolution qu’«en cas de crise persistante entre le Gouvernement et l’Assemblée nationale».

C’est cette crise et elle seule qui pourrait ouvrir la voie au Président de la République, «après consultation du Premier ministre et des Présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat», (...) à «la dissolution de l’Assemblée nationale».
Certes, faire tomber un Chef du Gouvernement soutenu par une majorité parlementaire est bien compliqué, le Président de la République, aux termes de la Constitution, ne pouvant le démettre de son propre chef sauf à organiser un passage en force mais cela suppose qu’il ait le contrôle de la chambre basse.

En l’espèce, la règle du parallélisme des compétences, dite théorie de l’acte contraire ne fonctionne pas.
Que d’embûches et d’obstacles dressés par la loi qui gèle la migration humaine pendant une législature...
Ainsi, un député perd son mandat s’il quitte de façon délibérée son parti politique (art. 26, Règlement d’ordre intérieur, novembre 2006). «Au début de chaque législature, les partis et regroupement politiques déposent au bureau provisoire de l’assemblée nationale les listes des noms de leurs députés dûment signés par chacun d’eux».

«Un député ne peut faire partie que d’un seul Groupe parlementaire. Le député qui n’appartient à aucun groupe parlementaire est appelé non inscrit. Chaque député est membre du groupe parlementaire auquel appartient le parti politique dans le cadre duquel il a été élu. Les groupes parlementaires sont constitués pour la durée de la législature. Un député qui quitte son Groupe parlementaire perd le droit de s’affilier à un autre groupe parlementaire. Il devient un non inscrit» (art. 46).

CAS D’EROSION
DE LA MAJORITE.

Un député non-inscrit est un député fantôme. S’il ne renforce aucun parti politique, sa voix est marginale. La prise de parole dans l’hémicycle est en effet accaparée par les groupes parlementaires selon leur poids en termes de représentation, ce qui laisse une portion congrue aux non-inscrits.
Sauf que le législateur n’avait pas prévu un autre cas de figure : l’hypothèse d’avalanche au cours d’une législature ouvrant un basculement de majorité ou un rééquilibrage significatif des forces.

Mieux, une érosion massive des députés de la majorité qui rejoindraient le banc des non-inscrits, uniraient leurs voix, en l’espèce, à celles du CACH et de l’opposition d’Ensemble, du MLC et de l’AFDC-A mettant à mal le bureau de l’Assemblée nationale conduisant à sa destitution. Hypothèse qui donnerait lieu au vote d’un nouveau règlement d’ordre intérieur avec création de nouveaux groupes parlementaires, et c’en serait fini du Gouvernement.

Clairement, l’horizon pour Mabunda de perdre son marteau s’éclaircit? C’est l’hypothèse privilégiée sur la table de nombre de stratèges qui éviterait une dissolution trop coûteuse... Selon diverses sources, le président de la République «dispose d’un canon sans recul».

Mais selon le professeur Kodjo Ndukuma Adjayi, un proche du Sénateur PPRD Evariste Boshab Mabudj qui dénonce une « tentative de présidentialisation du régime politique», contraire « aux prescrits de la Constitution qui prônent un régime parlementaire rationalisé », les «stratégies de retrait de la coalition » par CACH, en quête d’une nouvelle majorité numérique, ne sera pas facile, « des contre-stratégies sont en œuvre, dont on ne peut parler présentement».

Reste qu’à considérer l’attente soulevée dans l’opinion publique par ce discours présidentiel martial du 23 octobre décliné en six minutes, l’unanimité est faite que le Chef de l’Etat, au terme d’un mois de consultations, devrait tout changer et le jeu et des joueurs.

S’il veut entrer définitivement dans l’Histoire avec H en majuscule, il doit sans équivoque mettre le cap sur un système de gouvernance nouveau, avec de l’intelligence avérée et des hommes pétris de force nouvelle. Des hommes qui connaissent, savent, anticipent. Reste une question : comment et quand y arriver?

Comme c’est toujours le cas en pareille circonstance, c’est seul et dans sa solitude de Chef de l’Etat, après s’être concerté avec ses équipes techniques et politiques, qu’il lèvera l’option finale à porter à la connaissance de la Nation.
T. MATOTU.


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