L'insécurité du pays part-elle aussi de Kinshasa ?
  • mer, 25/01/2023 - 08:05

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1572|LUNDI 23 JANVIER 2023.

L'insécurité dont souffre le pays depuis une vingtaine d'années trouve-t-elle ses fondements à Kinshasa? C'est au moins ce que clairement laisse entendre l'article d'Africa Intelligence publié le 16 janvier 2023 et signé par les journalistes français Olivier Liffran et Antoine Rolland. Ci-après.

Alors que les troupes burundaises opèrent depuis le début de l’année sous mandat de l’EAC, East African Community dans le Sud-Kivu, le chef de guerre Michel Rukunda alias Makanika ne se montre plus. Retranché sur les hauts plateaux surplombant le lac Tanganyika, l'ancien colonel déserteur en 2019 des FARDC a pris le commandement des milices Banyamulenge Twigwaneho («Défendons-nous» en langue Kinyamulenge).
Face à la XIIe brigade de réaction rapide des ARDC en poste à Minembwe, aux groupes armés congolais Maï-Maï, burundais et rwandais, Michel Rukunda a surpris par son sens tactique et sa capacité à s’équiper militairement.
Le FBI, l'américain Federal Bureau of Investigation et les services congolais, ANR, l’Agence nationale de renseignements et le renseignement militaire, soupçonnent l’organisation communautaire MPA, Mahoro Peace Association établie aux États-Unis d'Amérique d’avoir financé son effort de guerre à hauteur de plusieurs centaines de milliers de $US
Un sujet particulièrement sensible, qui a été abordé en septembre 2020 au siège du Département américain de la Justice à Washington en présence de responsables du Département d’État, du FBI et du Bureau of International Narcotics and Law Enforcement Affairs, INL, ainsi que du Congolais Serge Tshibangu. Ce dernier vient tout juste d’être nommé envoyé spécial du président Félix Tshisekedi chargé des relations avec les États-Unis et l'État d'Israël. Tshibangu effectue son premier déplacement officiel sur le sol américain pour assister à cette réunion de haut niveau. De sérieux soupçons de soutien financier de la MPA à Makanika sont évoqués. Quelques mois plus tard, c’est au tour de l’ancien ambassadeur américain à Kinshasa, Mike Hammer, d’être alerté par le renseignement congolais et qui en fait part aux services de sécurité à Washington.
Washington et Kinshasa soupçonnent un vaste réseau opérant sous couvert d’une association humanitaire américaine, de financer les milices communautaires Banyamulenge.
À 13.000 kilomètres des hauts plateaux du Sud-Kivu, cette organisation influente au sein de la diaspora banyamulenge aux États-Unis alerte régulièrement sur les persécutions dont est victime la communauté, exposée, selon elle, à un risque de «génocide». Elle se présente comme une ONG constituée dans la foulée du massacre en 2004 de réfugiés Banyamulenge à Gatumba, au Burundi, par des FNL, Forces nationales de libération, un mouvement rebelle Hutu burundais. La diaspora va alors se structurer et s'organiser pour répondre à l'urgence et collecter des fonds.
Officiellement, la MPA se focalise sur la crise sécuritaire et humanitaire en cours sur les hauts plateaux dans l'est du Congo. Elle œuvre à la «cohabitation pacifique et au développement» dans cette zone reculée et plus largement au Congo où les Banyamulenge sont de longue date stigmatisés. Jamais, la MPA n'a fait état de ses liens avec les milices aux ordres de Makanika responsable d'exactions et de recrutements d'enfants soldats.

«UNE AIDE FINANCIERE IMPORTANTE».
Le chef de guerre - comme certains cadres de la MPA et plus largement une partie de la communauté Banyamulenge - a naguère officié dans plusieurs rébellions. De l'APR, l'Armée Patriotique Rwandaise constituée dans les années 1990 par Fred Rwigema et Paul Kagame avec le soutien de Yoweri Museveni, à l'AFDL, l'Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo, en passant par le RCD, le Rassemblement Congolais pour la démocratie. La MPA assure que les fonds récoltés sont exclusivement destinés à de l'assistance humanitaire. Pourtant, Washington et Kinshasa ont acquis la conviction que cette aide s'est accompagnée, depuis 2019, d'un appui financier secret aux Twigwaneho, qui s'est accéléré l'année suivante avec la rébellion de Makanika. Selon eux, les fonds récoltés ont alors permis la montée en puissance des miliciens sur les hauts plateaux.
Au sein de la MPA, cette nouvelle stratégie est impulsée par Alexis Nkurunziza, membre du comité exécutif de l'association et ex-officier du renseignement au sein du FPR, le Front patriotique rwandais de Paul Kagame, à la fin des années 1990. Il est suspecté d'avoir facilité le soutien à Makanika qui a réorganisé le contingent des Twigwaneho (dont l'importance est difficile à évaluer mais qui pourrait compter plus d'un millier de membres), l'a équipé et l'a doté d'un véritable état-major militaire dans la localité congolaise de Bijabo.
Un bouleversement observé par la Monusco, la Mission des Nations unies au Congo, ainsi que le groupe d'experts de l'ONU pour le Congo qui mentionne sans plus de précisions, dans un rapport daté de juin 2021, l'existence «d'une aide financière importante de certains Banyamulenge vivant à l'intérieur ou à l'extérieur de la RDC».
D'après des documents comptables de la MPA consultés par Africa Intelligence, l'association perçoit en moyenne un peu plus de 40.000 $US par mois de la part de ses adhérents. À ce chiffre s'ajoutent les sommes collectées à travers un réseau de mutualités Banyamulenge, disséminées en Europe, en Australie, au Canada et dans la sous-région.
Chaque adhérent est incité à participer via de petites sommes, comprises entre 20 et 50 $US. Refuser, c'est prendre le risque de pressions sociales, voire d'être exclu de la communauté.
La distribution des collectes est supervisée par l'association Gakondo. Dirigé par le Belge Félix Nyirazo Rubogora d'origine Banyamulenge, cet organe, créé il y a moins de deux ans, chapeaute l'ensemble des mutualités Banyamulenge - la MPA en a été l'un des principaux contributeurs. Américains et Congolais estiment que près d'1,5 million de $US ont pu ainsi transiter, depuis 2020, jusqu'aux hauts plateaux du Sud-Kivu.
Ils ont décortiqué la toile de ces mutualités Banyamulenge, la plupart dénommées «Shikama», réparties au Congo (Kinshasa, Goma, Bukavu, Uvira et Minembwe), dans les pays limitrophes (Rwanda, Ouganda, et Burundi), ainsi qu'au Kenya et en Afrique du Sud. La multiplication des transferts confère une certaine opacité au système financier, via notamment, l'utilisation du mobile money. Les enquêteurs ont pu identifier certains intermédiaires, tel un employé de l'ambassade du Congo au Burundi, ou encore un certain John Mukiza, salarié pour le compte de l'organisation de la CÉPGL, la Communauté Économique des Pays des Grands Lacs et frère du général Munyamulenge Charles Bisengimana, jadis patron de la PNC, la Police Nationale Congolaise.
Côté congolais, on retrouve aussi le Dr Lazare Sebitereko, recteur de l'Université Eben-Ezer de Minembwe et l'un des fondateurs de l'ancien groupe armé Banyamulenge des FRF, les Forces Républicaines Fédéralistes dont a été membre Makanika.
Fin 2022, la MPA a pris ses distances avec Gakondo, sur fond de désaccord stratégique. Avec plus de 7.000 membres, l'association américaine est structurée de manière si sophistiquée qu'elle peut se permettre de poursuivre seule sa route. Le maillage local de MPA aux États-Unis d'Amérique se compose de plus de 70 représentants, du Kansas au Texas, en passant par le New Hampshire. Les autorités congolaises les soupçonnent en outre de disposer de «cellules» à Goma, Uvira, Bujumbura et Nairobi, toutes distinctes des mutualités banyamulenge gérées par Gakondo et opérant indépendamment.
L'ensemble est dirigé depuis Dallas, au Texas, par la présidente de MPA, Adèle Kibasumba Ndaba, et son vice-président, Jean de Dieu Ndarahuye Irankunda. Des cadres de l'organisation résidant aux États-Unis ont œuvré par le passé au sein de groupes armés ayant, là encore, sévi dans l'Est du Congo. Comme David Munyamahoro Banoge, qui a fait fonction de trésorier au sein du comité de direction de la MPA entre 2020 et 2022 - il était précédemment un membre influent de la mutualité Banyamulenge à Bujumbura. Vingt ans plus tôt, il était officier de renseignement pour le compte du RCD à Uvira, cité frontalière avec le Burundi, où certains témoins font mention de son rôle présumé dans l'exécution de réfugiés hutus. Banoge fait partie des survivants du massacre de Gatumba.
Il existe également au sein de la galaxie MPA un discret groupement nommé Abarwanashyaka («Volontaires» en Kinyamulenge) rassemblant d'anciens combattants, et dont les cotisations sont soupçonnées d'être essentiellement dirigées au bénéfice aux Twigwaneho. La plupart ont fait le coup de feu au sein du RCD tel son responsable John Nyabashoshi Mukiza, ancien major au sein de la rébellion et actuellement installé au Texas.
De quoi s'attirer quelques problèmes avec la justice américaine, pour qui l'appartenance passée à un groupe armé peut s'apparenter à une violation de la loi fédérale sur l'immigration. De son côté, MPA assure que «chaque membre de notre organisation, comme toute personne s'installant aux États-Unis, a fait l'objet d'un processus de vérification de ses antécédents».

DES RELAIS DE LA MPA A KINSHASA.
De Kinshasa à Washington, en passant par les Nations Unies, les enquêteurs se sont également penchés sur les liens de certains responsables politiques congolais avec la MPA. C'est le cas du député national du Sud-Kivu, Moïse Nyarugabo, considéré comme l'un des parrains de l'organisation mais qui «réfute toute relation particulière» avec l'association, si ce n'est «des liens familiaux et amicaux».
«Je n'ai jamais eu connaissance de ces transferts financiers au groupe de Makanika», affirme Nyarugabo, un proche d'Azarias Ruberwa Manywa, président fondateur du RCD après la transformation du groupe armé en parti politique. Ruberwa fut aussi l'un des quatre Vice-présidents du Congo dans le régime 1+4 entre 2003 et 2006 tout en restant un leader de sa communauté Banyamulenge.
Nyarugabo voit d'un bon œil les Twirwaneho. «Sans leur action, assure-t-il, il ne resterait plus un seul Banyamulenge».
Azarias Ruberwa Manywa est l'oncle direct du Dr Freddy Kaniki, ancien membre du comité exécutif de la MPA entre 2009 et 2011 et considéré comme l'un des stratèges de l'association. Installé en Alaska, l'homme se présente comme un enseignant, chercheur et docteur en pharmacie. Il réfute toute fonction exécutive au sein de l'association, ainsi que l'existence de transferts financiers entre l'association et les groupes Twigwaneho. Des accusations dont il attribue la paternité à des dissensions au sein de la communauté banyamulenge.
Freddy Kaniki a gardé un lien fort avec la région des Grands Lacs, et plus particulièrement avec le Burundi. Dans la capitale économique, Bujumbura, Freddy Kaniki a fondé en 2014 une école supérieure, la BAIA, la Burundi American International Academy où des enfants de Pierre Nkurunziza sont scolarisés. Proche de l'ancien président burundais jusqu'à son décès en 2020, Kaniki a tenté de convaincre Gitega de l'intérêt à appuyer les Twigwaneho dans la lutte contre les rebelles Red Tabara.
Porosité avec le M23
Au même titre que l'Ouganda et le Rwanda, le Burundi est une base arrière précieuse pour les Twigwaneho, en raison de la présence de camps de réfugiés banyamulenge - qui constituent un réservoir de potentiels combattants. Ce recrutement inquiète d'autant plus les autorités congolaises qu'il s'accompagne d'une porosité toujours plus grande entre les troupes de Makanika et celles du M23, emmenées par Sultani Makenga. Une source onusienne note toutefois que, s'il y a un rapprochement évident entre les deux groupes, leur jonction opérationnelle n'est pas encore effective.
Malgré la connaissance par les autorités de cet écosystème et de ses liens avec les responsables de la MPA, le dossier n'a pour l'heure débouché sur aucune poursuite sur le sol américain. Plusieurs de leurs agents s'en enquièrent pourtant régulièrement. Certains d'entre eux ont fait le déplacement à plusieurs reprises à Kinshasa, à l'image de l'agente spéciale Mary Boese, qui couvre le Congo depuis l'ambassade américaine de Nairobi, de son homologue à Pretoria, et d'un troisième agent venu de Washington courant 2022. Mais le FBI s'est refusé à tout commentaire.

OLIVIER LIFFRAN.
ANTOINE ROLLAND


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