Les vérités Nangaa
  • lun, 20/07/2020 - 06:45

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1493|LUNDI 20 JUILLET 2020.

Lu et corrigé.

Il a eu cinquante ans le 9 juillet dont cinq à la tête de la CENI.
Il aurait pu être considéré comme Référence au Congo, en Afrique et dans le monde, célébré dans son pays et dans le monde. Directeur de programme à EFEAC, l’Ecole de formation électorale en Afrique centrale, ancien du PNUD, le Programme des Nations Unies pour le Développement, dans plusieurs pays (Côte d’Ivoire, Niger, Gabon, Guinée-Conakry, Ghana, Burundi, Cameroun, Madagascar), facilitateur expert BRIDGE, Building Ressources in Democracy, Governance and Elections (Bâtir des Ressources en Démocratie, Gouvernance et Elections), il affirme, les yeux dans les yeux, «figurer dans le Top 4 des meilleurs experts électoraux en Afrique».

A BON DROIT.
A bon droit, Nangaa s’attendait à être reconnu au Congo puisqu’il l’est en Afrique.
«Nous fournissons des experts électoraux à divers pays africains. L’expertise congolaise est connue en Afrique et reconnue», déclare-t-il en exclusivité au Soft International. Est-on jamais prophète dans son pays?
Il estime avoir réussi ce que nul au Congo n’avait réussi depuis six décennies : sortir du pouvoir, dans le calme, en vie, en toute liberté, allant et venant où il veut, un homme à la tête du pays depuis dix-neuf ans et installer dans le calme un nouvel homme sorti des urnes, issu des rangs de la dure et légitime opposition, qui a battu le candidat du pouvoir en place, le dauphin.

L’ancien Président et le nouveau Président se croisent dans la rue, se saluent chaleureusement, se rencontrent, échangent quand ils veulent. Historique au Congo. Historique en Afrique... Centrale.
De même, il a réalisé ce que nul sur le Continent n’avait réalisé depuis les indépendances : installer au pouvoir un régime de coalition, un Président de la République d’un bord politique avec une majorité parlementaire écrasante au sein de toutes les assemblées nationales et provinciales d’un autre bord.

On peut ergoter, parlementer des mois sur une vérité, tel est le prononcé du juge électoral, telle est la vérité légale... Le Congo, ce territoire qui, en 1885, à la Conférence coloniale de Berlin, reçut l’appellation qui en dit long, celle d’EIC, l’Etat Indépendant du Congo, quand d’autres pays africains avaient gardé leurs noms d’origine, a-t-il jamais cessé d’être une terre différente, un cas à part ? N’a-t-il pas en 2002 au lendemain de la Conférence pour le dialogue inter-congolais de Sun City, inventé un régime propre, le 1+4 : un Président de la République, quatre Vice-Présidents dont deux étaient d’anciens gourous des rébellions armées, le troisième venant de la société civile, en réalité un ex-chef rebelle?

Sur la coalition au pouvoir CACH-FCC, tout va en dépit de quelques «bisbilles» de parcours qui glacent le sang certes et que le Président de la République Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo a, à plusieurs occasions et avec raison, mis au compte d’une expérience politique inédite, un apprentissage du vivre ensemble entre deux camps opposés qui, outre cela, s’écorchaient farouchement dans un passé encore récent.
«Je suis fier au moment de quitter la CENI... Il me revient de passer le flambeau mais psychologiquement, j’ai déjà quitté la CENI et je laisse derrière moi une expertise. Je suis fier d’avoir accompli ma mission à la tête de cette Institution malgré les multiples attaques auxquelles je fais face et j’assume. C’est sur ça qu’il me faut insister».
Tout au long de nos rencontres sur quatre jours la semaine dernière, ces phrases reviennent avec récurrence dans la bouche du président de la CENI.

«J’assume tout au moment de partir. Je laisse un Président de la République qui a succédé à un autre, une Assemblée nationale renouvelée, un Sénat et des Assemblées provinciales restés douze ans sur place soit sept ans hors mandat mais renouvelés, et vingt-six gouvernements provinciaux mis en place. Tout cela sans la moindre effusion de sang, sans le moindre tir même en l’air et la proclamation des résultats a lieu à notre siège, non à bord d’un char des combats. On n’avait pas vécu ça depuis 1960…».

Le Congo a eu un Premier ministre, chef de la majorité parlementaire en désertion dès son entrée en fonction, en fuite, rattrapé, mis aux arrêts, expédié à la mort, torturé, tué ce, dès l’accession du pays à l’indépendance et un coup d’état qui installe un régime féroce, puis, une rébellion qui chasse un Président de la République.
Alors qu’il tourne la page de la Centrale électorale nationale et lorgne vers de nouvelles aventures, Nangaa s’attendait à des bouquets de fleurs de ses compatriotes et des salves d’applaudissements nourris...

La clameur publique de ses contemporains conditionnés semble vouloir le sortir par la petite porte. L’Histoire en majuscules avec le recul qu’elle autorise s’en fera peut-être sa propre opinion en lui rendant justice.

PUISSANT
OU MISERABLE.

En France, au XVIl ème siècle quand l’injustice bat son plein, Jean de la Fontaine ruse avec un régime de l’arbitraire de Louis XIV, écrit «les Animaux malades de la peste», et lègue un classique à l’Humanité: «Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir».

A la tête de la CENI depuis cinq ans, Corneille Nangaa Yobeluo a-t-il été puissant ou misérable? Accusé par les organisations de la société civile et les opposants d’être aux ordres de Kabila dont il serait un ardent protecteur même si sa candidature, conformément à la loi, avait été portée par des religieux, soupçonné par des diplomates de manipulation du calendrier électoral, gonflant délibérément le budget des scrutins porté à 1 milliard 500 millions de $US quand le budget de l’Etat ne dépasse pas 4 milliards de $US, juste pour aider à faire traverser des centaines de millions de $US vers des destinations inconnues mais que l’on soupçonne aisément, de renvoyer aux calendes grecques des scrutins prévus constitutionnellement, annoncés, gisant sous le poids des sanctions financières américaines quand il dit avoir apporté l’apaisement, pilier de tout développement, au lendemain de ces scrutins, Nangaa a-t-il jamais été puissant?

En juin 2017, dans une interview au Soft International, il entreprît de ramener au calme les esprits de ses compatriotes. «Rassurez vos lecteurs et les électeurs, qu’ils sachent que la CENI ne monte de stratégie particulière ni avec une Institution, ni avec des acteurs politiques de quelque bord que ce soit. La CENI donne l’information exacte à tous car elle a l’obligation de conduire le processus électoral dans la transparence, la lisibilité et l’accessibilité pour tous les Congolais » (Nangaa, une interview bombe, lesoftonline.net ven, 02/06/2017-05:53).

Qui croirait ce propos, qui l’avaliserait face aux tragédies humaines et politiques qui ont émaillé des affrontements politiques qu’il n’avait cessé d’annoncer comme devant être «les meilleurs que le pays ait jamais organisés» cherchant l’appellation à donner à ceux organisés en 2011, six ans auparavant, par l’un de ses prédécesseurs, un pasteur d’église méthodiste, Daniel Ngoy Mulunda Nyanga ?

Un jour peut-être proche, il faudra écrire des livres qu’aucun Congolais n’écrit, le pays paraissant attiré par la mélasse des réseaux sociaux ou des séries télé diverses sinon des débats en-deçà de la ceinture...
Par exemple, la CENI qui dit déborder d’expertise n’a-t-elle pas une image dégradée à la suite d’appuis langagiers déplacés que lui portent des hommes au pouvoir? Chaque fois qu’elle a pris la parole elle-même, il semble qu’elle se soit défendue avec brio. Les hommes au pouvoir qui veulent voler à son secours la croyant en difficulté ou incapable de se défendre elle-même, ne constituent-ils pas un problème qu’une solution pour la Centrale électorale?

Aujourd’hui, Corneille Nangaa avoue son «objectif ultime» en prenant en 2015 la présidence de la CENI: «amener le Congo à une alternance pacifique».
Cet objectif a été atteint, nous affirme-t-il. Même si, reconnaît-il, «la perfection est de Dieu», rappelant des contestations post-électorales «même aux Etats-Unis d’Amérique...».

L’ENJEU
AMERICAIN.

Pour atteindre son objectif, Nangaa dresse à son arrivée un état des lieux, déploie une feuille de route, trace les objectifs. L’urgence est la refonte du fichier électoral. Une quadrature du cercle.
Deux ans après sa prise de fonction, le 26 octobre 2017, l’homme le plus puissant du monde, le président américain Donald Trump dépêche à Kinshasa l’ambassadeure des Etats-Unis aux Nations Unies, Nikki Haley à la tête d’une délégation de membres du Conseil de sécurité des Nations Unies avec un plan arrêté: la tenue des scrutins au Congo en décembre 2017. Quoi qu’il en coûte sinon la sortie de piste de Joseph Kabila Kabange et les siens unanimement détestés dans la sous-région, en Afrique, dans le monde.

Arrivé à la tête d’un pays dont il ne connaît ni la langue, ni le langage - les fondamentaux sociologiques et politiques - curieusement, guère aidé par son entourage après deux décennies au pouvoir, Kabila est au centre d’un enjeu diplomatique planétaire très sévère.
Des élections en décembre 2017? Rien moins qu’un ultimatum expirant dans deux mois! Excédée par d’incessants reports et d’étranges couacs, l’Amérique qui s’est sauvée face au Japon grâce à l’uranium de Tchinkolobwe volé et vendu par les Belges, qui n’a jamais levé le pied dans ce pays mine surtout en ce moment où le coltan et le cobalt tournent le monde, intervient directement et impose un règlement de sortie de crise : la tenue des élections. Et, en fait désormais, une question d’honneur…

A Kinshasa, quand elle se rend à une réunion avec le haut clergé catholique, Nikki Haley abat sur la table le calendrier américain applaudi par les religieux, en fait l’annonce aux médias massés devant le Centre inter-diocésain de Kinshasa, à la Gombe, puis à Nangaa et à ses équipes interloqués qu’elle rejoint peu après au centre ville. Les pro-Kabila retiennent leur souffle…

Pourtant, face à Nangaa la femme la plus puissante du monde va trébucher.
Le président de la CENI a déployé tout son arsenal d’arguments susceptible de faire sinon plier, du moins reculer l’envoyée américaine, en retoquant son argumentaire.
Il commence par lancer quelques mots visant la reconnaissance des protagonistes («Je suis moi-même un pur produit américain sorti de l’IFES, Fondation internationale pour les systèmes électoraux, ex-directeur pays au Niger, en Côte d’Ivoire, ce dont je suis très fier et dont je n’ai jamais eu de cesse de remercier les Etats-Unis d’Amérique pour tant de privilèges») mais - à la queue gît le venin -, la matière électorale est une matière éminemment technique qu’il est difficile de politiser, qu’en l’espèce, il existe des délais incompressibles - 504 jours sont nécessaires - et que nul ne saurait laisser loin du processus électoral au moins 10 millions d’électeurs - les fameux nouveaux majeurs - sans cracher sur la loi fondamentale, la Constitution du Congo, que la Centrale électorale ne saurait, en aucune façon, se départir de ces fondamentaux même au prix du sang.

Devant les évidences argumentaires, Nikki Haley négocie, propose juin, puis août 2018. Nangaa explique qu’un calendrier électoral ne se négocie pas.
Puis, demande à ses interlocuteurs de vider la salle, de la laisser seule avec sa suite américaine et nationsunienne.
L’envoyée spéciale de Donald Trump s’isole dans un coin de cette salle de réunion au troisième étage du siège de la CENI, empoigne son smartphone, passe un coup de téléphone. A Trump dont elle est l’envoyée spéciale pour cette mission inédite au Congo?

Puis rejoint Corneille Nangaa Yobeluo debout, figé, dans le hall, s’engouffre seule avec lui dans l’ascenseur peu sûr du siège de la Centrale électorale congolaise, le long du boulevard du 30-Juin.
Le garde du corps américain a dégainé, l’arme aux poings, avalé trois à trois les marches de l’escalier et, au rez-de-chaussée, ne voit pas venir l’ascenseur.
Soudain, le temps devient une éternité...

Soupçonnant le pire pour l’Envoyée de Trump, en position d’attaque, l’homme transpire à grosses gouttes mais voilà que l’ascenseur arrive et la porte s’ouvre. L’étrange couple Nangaa-Haley est là…
Nikki Haley est saine et sauve.
La tension est descendue de plusieurs niveaux. La barbouze a remis l’arme dans l’étui...
La parole attendue que l’envoyée de Trump va donner à entendre aura un retentissement planétaire...
Entré à plusieurs reprises dans l’aire du jeu, le Congo n’a cessé de repousser ses élections. Porté au pouvoir par les Occidentaux qui ont déployé le tapis rouge au jeune Président, à Paris, Bruxelles, etc., Kabila entretient des relations tendues avec les milieux d’affaires occidentaux.
Sept patrons des plus grosses multinationales minières du monde - canadienne, chinoise, suisse, etc., - sont mis à mal à Kinshasa.

Les dispositions de la nouvelle législation votée par le Parlement congolais va étouffer le secteur. Hausse de la taxation des superprofits et de la redevance minière passée de 2 à 10%, réduction de certains avantages douaniers, annulation du système d’amortissement sur les capitaux et sur les biens d’équipement, clause de stabilité rétrécie, passant de 10 à 5 ans, cobalt et autres minerais désormais identifiés comme «minerais stratégiques», voient leurs taux monter en épingle.

Si les représentants de la société civile se réjouissent de l’adoption de ce nouveau code minier, entre le régime et les multinationales minières, la guerre fait rage.
Début mars 2018, une réunion a lieu à Kinshasa mais ces grands patrons de mastodontes miniers doivent attendre trois jours sur le quai avant de voir Kabila, jets privés coûteux et équipages rutilants cloués au sol. Quand cette rencontre a finalement lieu le 7 mars, le feu couve dans la salle. Les sept patrons s’en prennent vertement à Martin Kabwe Lulu, l’inamovible ministre des Mines et demandent la sortie de la salle d’Albert Yuma Mulimbi, le PCA de l’entreprise minière Gécamines. Ils estiment que celui qui est également le patron des patrons congolais a joué un rôle néfaste dans la défense du secteur.

A l’endroit de Kabila, ils usent de mots sans détours.
«Monsieur le Président, si la loi change et si elle réduit la clause de stabilité de 10 à 5 ans, c’est tout notre business qui coule. Chacun de nous aura perdu toute crédibilité. Chacun de nous va être contraint de fermer son entreprise».
Patron de Randgold Resources, Mark Bristow menace : «Si vous signez le Code dans son format actuel, je ferme. Je mets dans la rue, au chômage 15.000 de vos compatriotes». Mieux encore, ce minier passe un message qui sonne comme un avertissement : « Le Nord-Est de votre pays où Randgold Resources est installé est une contrée dangereuse, où foisonnent des groupes armés. Les 15.000 chômeurs vont rallier les groupes armés qui vont exploiter cet or sans verser un franc à l’État...».

C’est clair. Les Occidentaux réclament un changement à la tête du pays. Ils ont décidé d’aider à tourner la page de Kabila dans ce pays, sans perdre une minute... S’il le faut, font-ils savoir, en refinançant d’éternelles guerres à l’Est...
A la CENI, au pied de l’escalier, face à la porte d’entrée donnant sur la grande avenue du 30-Juin, micros à la main, caméras à la hanche, une meute de journalistes congolais et étrangers se bouscule.
Depuis son coup de fil, l’envoyée spéciale de Trump a l’air soulagé.

«Nous avons montré que chaque jour que les élections ne sont pas organisées, c’est des femmes qui sont violées, des enfants qui sont enrôlés dans les groupes armés. C’est important d’organiser les élections en 2018. Si les élections ne sont pas organisées au plus tard en 2018, la RDC ne pourra pas compter sur l’appui de la communauté internationale dont celui des Etats-Unis», déclare-t-elle aux envoyés des médias qui la mitraillent de pétaradants flux lumineux.
Entre la date de 2017 que Nikki Haley avait en tête en débarquant de Washington et celle de 2019 voulue par la CENI, l’Amérique a tranché en coupant la poire en deux: ce sera au plus tard 2018 ou...
Nikki Haley avait tracé la ligne rouge : 1er trimestre 2018. Elle a revu cette date : juin 2018. Face à la saillie d’arguments développés par le président de la CENI, l’Américaine a flanché, elle laisse toute marge de manœuvre à la CENI. « Faites tout en 2018. Quelqu’en soit le mois. En 2018, quelqu’en soit le mois...».

Nangaa avait longtemps retenu son cœur qui menaçait de lâcher. Désormais, ça va…
En 2018, mais à quelle période, quel mois? A la CENI de travailler et de proposer un mois, un jour.
Il mentirait s’il n’a pas fait rapport dans les détails à «ceux qui… gouvernent la réalité de ce processus électoral, à celui qui…» et expliqué que la ligne rouge est dressée et que nul ne saurait la franchir sans être puni.
L’opposition gronde. Elle ne comprend pas pourquoi l’Amérique de Trump ajoute «une année de transition illégale, illégitime et criminelle» à Kabila.

Une autre voix dit avoir «écouté les conseils de Nikki Haley avec attention et reconsidérerait sa position à condition d’avoir de réelles garanties. Si d’ici le 31 décembre 2017, nous n’avons pas des signaux clairs comme quoi nous allons aux élections, alors, nous irons aux élections sans le président Kabila», explicite Pierre Lumbi Okongo (11 mars 1950-14 juin 2020) alors président du Comité des Sages du Rassemblement né à Genval, banlieue bruxelloise.

DETOUR
CHEZ KABILA.

Avant de se rendre à l’aéroport, sur la route des femmes violées et des enfants sorciers et des esclaves de l’Est, au Kivu, Nikki fait un détour chez Kabila, au Palais de la Nation. Au-delà des sourires de convenance, l’accueil est des plus froids. Le Président a été briefé…
Nikki Haley tend une liste au Président. Celle des personnalités du pouvoir, documentées, identifiées, par les Etats-Unis comme des criminels.

Le monde pleure toujours deux jeunes agents - une avocate suédoise Zaida Catalan et un Américain Michael Sharp - égorgés le 12 mars 2017 comme des bêtes sauvages dans le Kasaï - par la rébellion des Kamwena Nsapu? Qui l’affirme et comment le sait-on quand Washington dispose d’une autre piste - employés par les Nations Unies et dont les têtes ont été brandies comme des trophées de guerre?
Nangaa a gagné une autre victoire : l’engagement personnel de Nikki Haley d’appuyer l’annonce de la CENI. «En 2018, quel qu’en soit le mois, que lorsque la CENI aura fait son annonce, que l’administration américaine fasse un communiqué approbateur…».
Ce sera le 23 novembre 2018, annonce la CENI après que Nikki Haley a rejoint Washington. L’administration Trump salue la nouvelle date légitimée par la Communauté internationale. Au nom du gouvernement américain, Nikki Haley a tenu parole.

Nangaa salue aujourd’hui ce geste de l’ambassadeure américaine tenante de la ligne droite : «Je remercie Mme Nikki Haley. Elle a été très correcte avec nous... Je remercie aussi les partenaires étrangers».
En octobre 2018, Nikki Haley a quitté son poste. C’est Trump lui-même qui en fait l’annonce le 9 octobre dans un tweet.
«Je vais faire une grosse annonce avec mon amie Nikki Haley», déclare le président devant les journalistes dans le Bureau ovale de la Maison Blanche. Il salue l’«incroyable travail» effectué par Nikki Haley aux Nations Unies.
Six mois avant, elle avait informé le président de son intention de quitter son poste. «Elle a été très spéciale pour moi», insiste Donald Trump devant la presse.

Avec la CENI, une divergence persiste cependant: la machine à voter.
Sur cet outil de rêve qu’elle a conçu et fait fabriquer en Corée du sud, la CENI ne transige pas. De cette machine, les Etats-Unis ne veulent sous aucun prétexte rien savoir. Les opposants et la société civile accusent cet appareil d’être une machine à frauder. La CENI ne lâche pas prise. La réussite - laquelle? - de ses opérations - lesquelles? - en dépend, explique la CENI. Quand début octobre 2018, Haley s’annonce dans une nouvelle mission du Conseil de sécurité, le visa congolais lui est refusé. Deux mois plutôt, à une réunion interne au Conseil de sécurité des Nations Unies à New York, la Représentante permanente américaine a fait part de «graves inquiétudes» de l’administration américaine sur l’évolution du processus électoral, y voit «des signaux rouges et des questions sans réponses». Kinshasa qui oublie ses amis n’oublie pas ses ennemis. Sa dent est trop dure… Qu’importe !

Devant les médias, l’ambassadeur français François Delattre qui conduit la délégation occidentale revient sans fin sur les inquiétudes des Occidentaux. «Le Conseil de sécurité doit mettre tout son poids au service de notre objectif prioritaire : des élections le 23 décembre crédibles, transparentes, dans un climat apaisé. Nous avons marqué la volonté du Conseil d’accompagner la RDC sur le chemin de la paix, de la stabilité et de la prospérité. Les élections du 23 décembre marquent une opportunité historique sur ce chemin. Elles ouvrent la voie à une première transition démocratique et pacifique du pays. C’est pourquoi, il est crucial que les élections du 23 décembre soient crédibles et transparentes et se tiennent dans un climat apaisé».

Suite à «des contraintes techniques» (retard d’acheminement des 3,5 millions de bulletins de vote, incendie d’un dépôt de machines à voter, reconfiguration de certaines autres, etc.), les élections ont glissé légèrement sans franchir la ligne rouge tracée par l’Amérique. Elles auront lieu le 30 décembre 2018.

Aux Nations Unies, au State Department où l’ami de Trump, Michael Richard Pompeo Mike Pompeo a remplacé Rex Tillerson le 13 mars 2018, au Pentagone, à la Maison Blanche où John Bolton, Conseiller en matière de Sécurité nationale veille au grain, on attend sur le pied de guerre cette nouvelle date qui entre dans les accords.
Le 30 décembre, si un Président de la République a été élu, proclamé, l’élection réussie - une élection légitime se mesure par la paix qu’elle apporte, l’absence de guerre civile ou d’un grave conflit et c’est le cas pour le nouveau Président Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo - , aux Législatives cela est loin d’être évident.
Le Bandundu a vécu un vrai cauchemar.

La proclamation des résultats de la grande province de l’Ouest se déroule dans le plus parfait désordre, allant d’une circonscription du Kwilu à celle d’une autre province. Puis, une circonscription électorale est oubliée quand la CENI clôt la proclamation et lève la séance. La salle hurle de stupeur, réclame la circonscription. Survient un vrai scandale. Le bureau de la CENI qui présidait la proclamation se rassoie. Jamais le crime n’est parfait.
La main dans le sac, la CENI est prise. Puis, cafouillage et scènes étranges en direct devant caméras et micros. Nangaa interpelle du regard la membre de la plénière, Eulodie Ntamuzinda W’Igulu qui donnait lecture des listes sorties ou pas d’ordinateur.

Avec le même sourire qu’on lui connaît, il interpelle du même regard son 1er Vice-président, le dur Norbert Basengezi Kantintima qui, sans la moindre petite gêne, arrache une feuille de papier d’un bloc-notes, aligne au stylo à bille ce qui apparaît comme des noms dont il se rappelle avoir reçu l’ordre (dont on imagine l’origine) de publier, remet la feuille de papier au président de la CENI, qui la regarde avec le même sourire, remet à Eulodie Ntamuzinda qui … proclame. Sans doute, les traficotages d’ailleurs ou d’autrefois ont été moins abracadabrants.
Interrogé, Nangaa défend ses proclamations - on serait surpris qu’il se dédise avant ses mémoires - sans expliquer des scènes aussi tragiques. Ni pourquoi, il a proclamé les résultats alors que ni les bureaux de dépouillement n’étaient fermés, ni les résultats n’avaient été communiqués.
Il n’y a pas que ça...

Des listes de candidats sont tombées depuis la Cour constitutionnelle - du même Benoît Lwamba Bindu qui, depuis dix jours fait la une des journaux au cœur d’un letterscandal - sans que ces candidats ne soient connus par une seule structure de la CENI, ni ne soient passés par un Bureau de réception et de traitement des candidats... Quand tout un pays se lève pour crier haro sur Ronsard Malonda Ngimbi et que le Président de la République prend acte des contestataires et rejette cette candidature, Nangaa a un avis contrasté sur des mouvements qui ont fait des morts lors des manifestations de rue.

DEBALLER
LE CLERGE.

C’est une matière à débat à intégrer dans le paquet de réformes à intervenir avec le lancement attendu du nouveau cycle électoral, nous déclare-t-il. «Actuellement, huit confessions religieuses prennent part à ce processus de désignation du président de la CENI. Pourtant, ce processus qui intègre des confessions religieuses qui disent agir sous l’impulsion du Saint Esprit, accouche d’une controverse, les épiscopes et autres chefs de confessions religieuses ne parviennent pas à se mettre d’accord. Comment aller à l’unanimité ou à un quelconque consensus sur l’aboutissement d’un processus électoral impliquant des milliers de candidats, représentant plus de 600 partis politiques et 40 millions d’électeurs?»

Que pense-t-il des positions du clergé catholique? «On en est à se poser des questions sur l’attitude de certains porte-paroles de la CENCO (sensu lato) par exemple, qui, au nom de leurs pairs et pas toujours avec leur assentiment, ont, depuis 2006, systématiquement affiché de l’hostilité à l’égard des présidents successifs de la CENI. A chaque fois, depuis que la loi le leur autorise, ils ont mené le processus de désignation du représentant des confessions religieuses jusqu’à la phase finale, avant d’en contester le résultat qu’ils trouvent toujours défavorable.»
«C’est le père à son fils engagé dans une compétition de foot : «Soki opoli, panza balle» (si tu perds, casse la baraque) ou le père qui a engagé son fils dans un round: «Tant que ce n’est pas le mien, le processus de désignation est nul».
«Voilà ce clergé entretenant par la suite un climat de méfiance généralisée tout au long du processus électoral qu’ils entourent d’un large spectre de soupçon de principe envers et contre tout acte posé par la CENI.

Finalement, ils contestent les résultats sortis des urnes. C’est une règle bien établie qui n’attend que les événements pour être répétitivement mise en œuvre. A quel profit? Pas au salut des âmes et on le sait pourquoi. Je n’irai pas jusqu’au déballage. Je peux néanmoins m’interroger sur la moralité d’exclusion des candidats pour des raisons d’origine géographique. Quel pays construire sur ces bases»?

Sur l’indépendance et la neutralité de la CENI: «Il est surprenant que chaque acteur en entrevoit la pertinence par rapport à d’autres mais non par rapport à soi-même. La communauté internationale comprend cette indépendance et cette neutralité par rapport aux Institutions de la République (particulièrement le gouvernement) en se considérant elle-même comme ayant un droit de regard, sinon de tutelle sur la CENI dans l’esprit de l’Accord inter-congolais de Sun City qui avait généré le fameux CIAT (le groupe d’ambassadeurs représentant la fameuse communauté internationale d’accompagnement de la transition) et son rôle connu pendant le 1+4, rôle dont visiblement les chancelleries occidentales peinent à se départir».

Puis : «Nous avons assumé notre indépendance et notre neutralité à l’égard de tous (personnalités et institutions) sans exclure la collaboration avec tous. En perspective des réformes électorales, il va falloir examiner la pertinence d’une composition de la CENI obéissant jusqu’à ce jour à la logique des composantes et entités de Sun City, laquelle logique persiste dans la loi organique actuelle qui partage les postes à la CENI entre forces politiques représentées à l’Assemblée nationale maintenant ainsi de facto une dynamique antagonique au détriment de la neutralité. Dans la querelle autour de Malonda, je note que chaque acteur a son candidat et tient à ce que ce soit lui qui soit demain président de la CENI. C’est l’épine dans le processus de désigna-tion des membres de la CENI qui rend le blocage récurent.

Dans ces conditions, quelle que soit la personne qui sera désignée, elle n’obtiendra jamais l’adhésion de tous. C’est à croire que même si c’était le pape lui-même qui était désigné président de la CENI, on finirait par dire que sa soutane n’est pas d’une blancheur évidente. Paradoxalement, on constate l’immixtion tapageuse des forces politiques dans la gestion du quota de la société civile alors que cette dernière ne se mêle pas du quota des partis politiques. Pourtant, le législateur est très clair : six représentants de la majorité, quatre de l’opposition, trois de la société civile. Les partis politiques devraient se mêler uniquement de ce qui les regarde».

Nangaa littéralement ignore le Congo, son histoire mouvementée, ses fondamentaux, ses millions de morts des guerres fratricides, la lutte toujours permanente pour le pouvoir, sa conquête, sa conservation... Les religieux peuvent désigner le président de la CENI. Peuvent-ils demain se placer aux manettes du pouvoir sans appartenir à un parti politique?
Si Jean Paul... pose des actes criminels, condamnables en démocratie, des actes de Lucifer, quelle recette préconiser pour lui éviter le chahut, voire l’opprobre?

Que de questions à lui poser. Sur le processus électoral, Nangaa explique : «L’ennemi n°1 du processus électoral ou du processus politique c’est la méfiance des acteurs et le sentiment de peur».
Craint-il les sanctions américaines? «Je ne dispose d’aucun compte bancaire à l’étranger. Mais cette question de sanctions me préoccupe à cause de ma réputation. J’ai été sanctionné sur base d’allégations non fondées... J’ai à Washington un avocat qui travaille à donner de l’éclairage...».

Son Vice-président Basengezi a jeté l’éponge en pleine tourmente mais Nangaa semble avoir été inspiré par des commandants responsables des navires, comme celui de Titanic.
«Lui, (Basengezi) il a invoqué des raisons de convenance personnelle, ayant compris que le bureau était fin mandat… Moi, j’ai voulu me conformer à la loi, rester aux commandes jusqu’au passage du flambeau. Je veux faire montre de responsabilité : amener le navire à bon port».

En se disant prêt à se rendre disponible pour aider à donner des pistes de solution.
«Faut-il continuer à élire les Sénateurs comme ils le sont aujourd’hui? Ne faut-il pas instaurer un vote impératif?»
Sur le mode d’élection à la Présidentielle, il a un avis. Deux tours lui paraissent trop lourds, et difficiles à tenir. Il comprend que certains pensent au mode indirect. Il y aurait tant d’économie à réaliser : les moyens, la contestation, etc., à condition d’amener du légitime dans les Chambres... Sans oublier que le Congo aligne onze types de scrutins dont six directs.

Révisions, réformes. Le Congo dispose-t-il du temps? D’ici 2023, pas plus de 40 mois...
Comment sauver les élections locales? Comment les organiser «quand même»? Prévues depuis 2006, elles paraissent ne jamais pouvoir se tenir. Explication : il y a 11.735 élus à proclamer. Trop lourd. Inutilement coûteux. Quand y arrivera-t-on? A-t-on le financement? Pourquoi, en l’espèce, la classe politique fait-elle montre d’hypocrisie? En retouchant la notion de territoire, on pourrait trouver une réponse.

Mais la question récurrente : quelle équipe va conduire ce cycle?
Il faut aller aux consultations, concertations, instituer une cellule d’experts. A la Coalition au pouvoir de se mettre d’accord sur les grands principes… Au sommet de l’Etat, la méfiance doit faire place à la confiance. Une équipe stratégique devrait y penser.

Puis : «Trop souvent, on se trompe de diagnostic, on se fourvoie dans des débats d’individus plutôt que d’aborder des questions de fond : 2023, élections ou glissement? Elections avec fichier tiré d’un registre d’état civil (recensement) ou fichier dérivant d’une refonte comme ce fut le cas en 2005, en 2010-2011, en 2016-2017?
«Mais c’est maintenant et pas demain. Car cela commence à devenir lacunaire».

Les politiques réclament évaluation et audit. Qu’en pense-t-il? «J’en suis moi-même demandeur à condition que cela se fasse en toute objectivité, lucidité et avec professionnalisme. Conformément à la loi. La loi prévoit d’auditer la CENI mais c’est l’Assemblée nationale qui sait comment le faire. Cette évaluation couvre la période allant de 2012 à 2019 correspondant au processus et électoral dont le rapport général a été déposé depuis juin 2019.

«Ceci dit, il n’existe aucune corrélation positive entre les réformes électorales souhaitées et la mise en place des nouveaux animateurs de la Céni en remplacement de l’équipe Nangaa en fin mandat depuis juin 2019».
T. MATOTU.
in Le Soft International, n° 1493 daté
lundi 20 juillet 2020.


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