L’immeuble disputé NBK
  • mar, 24/04/2018 - 16:34

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
La main sur le cœur, elles jurent: «Nous vous attaquerons, devant les instances nationales ou internationales. Devant les instances nationales ou internationales, nous attaquerons les ventes que vous avez faites».
Depuis que Al Quaida a immortalisé et rendu sexy les jurons, tout le monde y recourt. Même à Kinshasa...
«Nous vous assurons de notre détermination à ce sujet». Puis: «Nous continuerons à défendre nos droits jusqu’à ce que justice soit faite».
Qui écrit? La Succession Dokolo. Représentée par la veuve Dokolo - née Hanne Taabbel Kruse, ancienne infirmière danoise débarquée à Kinshasa avec la mission médicale de son pays avant de trouver mari - et une fille Dokolo, née Nkembi, épouse Nzolantima. En filigrane, l’emblématique Sindika, fils Dokolo Sanu né du lit Hanne Taabbel Kruse, très proche de la cour d’Angola à Luanda où il vit et remonte des affaires après un mariage cocon douillet avec la fille du président du pays, Eduardo Dos Santos. Sindika a-t-il joué de ses réseaux au Palais pour ameuter celui-ci et lui expliquer qu’il a hérité, à la mort de son père, Augustin Dokolo Sanu, d’une cargaison d’or dont des méchants mobutistes tentent de les déshériter, et qu’il faut aller chercher au besoin, avec des chars de combat? Luanda a-t-il joué en retour ses connexions kinoises - plus particulièrement dans l’ancien bureau de l’Assemblée nationale - heureuses de ramasser, sur l’opération, quelques précieuses miettes en ces temps de campagne politique et électorale sans compter ce que cette gentillesse pourrait rapporter en ... «dividendes politiques»? Qui ignore l’influence de Luanda, sans doute la véritable puissance militaire régionale, sur les dirigeants de Kinshasa? Il n’y a peut-être que les Institutions financières internationales - Banque Mondiale, Fmi et BAD - soucieuses d’une normalisation financière du pays qui pourraient réfréner certains élans... Dans l’intervalle, les divers réseaux peuvent jouer, intimider les dirigeants r-dcongolais, en tête, le ministre des Titres fonciers, l’inusable Venant Tshipasa passé, en l’espèce, orfèvre, donner des injocntions aux Conservateurs et obtenir que des mutations soient faites au bénéfice des proches, voire des membres d’état-major politique, même sur base incroyablement des simples «photocopies». Comment qualifier cela sinon du banditisme politico-financier? Dans cette affaire Dokolo qui prend une tournure inquiétante pour l’ordre social, tout le monde joue et semble y trouver son compte. Sauf ceux qui ont fait confiance à la banque - petits épargnants et État. Le dernier rebondissement de cette saga chaque jour aussi passionnante quand il s’agit d’un homme qui fut un moment une icône de réussite - un homme sorti du néant, l’authentique self made man - avant de retourner dans les profondeurs de l’inconnu - est le récent «Soft International2». Le journal semble avoir vu juste en titrant en une «Dokolo, l’arme fatale».

DE SA TANNIÈRE.
En fait d’arme, il s’agit d’un communiqué le plus limpide qui soit du liquidateur rédigé après la saisie de cette «arme fatale» dans l’une des archives bien gardées de la Capitale Kinshasa... Publiés dans «le Soft International2» en fac-similé, ce sont des actes de cession d’actions authentiques, irrévocables et notariés. Signés par le cédant Dokolo Sanu, co-signés par le cessionnaire, Pay-Pay wa Syakassighe alors gouverneur de la Banque Centrale, notariés par le même perpétuel notaire de la ville de Kinshasa, Masambombo Ngandu Koki. Au terme de ces actes, Dokolo cédait à la Banque Centrale la totalité des actions qu’il détenait dans la Banque de Kinshasa, la totalité de ses actions sur la partipaction de la Cofiki - la fameuse compagnie financière de Kinshasa où transitaient les millions de zaïres des déposants avant d’aller financer la dizaine de sociétés du Groupe Dokolo - et, last but not least, la totalité des actions détenues par son enfant mineur Dokolo Sindika - le même - sur la participation de la Cofiki à la Banque de Kinshasa. Dès la mise en circulation de la livraison du «Soft International2», la succession est sortie de sa tannière. Ses avocats Mes Ndundi Ndudi et Matadi Wamba ont vite fait de conseiller une lettre forte de neuf pages à l’adresse du Liquidateur indépendant «de la Nouvelle Banque de Kinshasa en liquidation» et, pour bien faire, copies réservées à la terre entière et dont un vent favorable a glissé un exemplaire dans la boîte physique du «Soft International». Datée du 31 mai 2006, la lettre de Hanne Taabbel Kruse et Dokolo Nkembi (Suc. Dkl/029/jk/2006), découvre d’entrée de jeu son objet et dès la première ligne: «Nous venons de prendre connaissance de l’avis au public du 26 mai 2006 publié dans l’édition du Soft n°861 de lundi 29 mai 2006». Puis, dès le deuxième paragraphe, les deux dames passent aux aveux: «Non seulement, vous ne vous privez pas de vous ériger en juge de l’histoire des faits qui se sont déroulés il y a plus de 20 ans, ce qui est loin d’être votre rôle, mais aussi, d’autre part, vous vous engagez à salir la réputation d’un homme qui, au-delà de ses défauts et de ses erreurs d’homme, mérite bien la considération des Congolais qui l’ont connu». Et: ««Même Mobutu et tous ceux qui l’ont aidé dans l’oeuvre de liquidation de feu Dokolo n’ont pas poussé leur outrance jusqu’aux crimes que vous voulez atteindre». Hanne Taabbel Kruse et Dokolo Nkembi n’ont pas totalement tord. Si Mobutu avait été un vrai Chef d’État, toujours soucieux de la sauvegarde du patrimoine public, il aurait laissé Augustin Dokolo Sanu en prison. Ailleurs, pour bien moins, d’autres faux millionnaires ont perdu la vie ou ont terminé leurs jours dans des cellules étroites... Mais - hommage posthume pour le Léopard venant de Hanne Taabbel Kruse et de Dokolo Nkembi - l’homme de Gbadolité n’était pas toujours un homme de fer: il savait avoir un grand cœur, surtout face à ses amis même détournés, savait pardonner.... Jusqu’à en perdre le pouvoir et la vie. Plus de vingt ans après, faut-il effacer des crimes économiques? La Succession avait cru la mémoire à jamais perdue. Les documents sont pourtant encore là et remplissent des coffre-fort. Les acteurs - du moins certains - encore et toujours en vie, signant de la même signature. Tel le Premier ministre Léon Kengo wa Dondo. Tel le gouverneur Pierre Pay-Pay wa Syakassighe. Pourquoi pas Mobutu lui-même via ses directeurs de cabinet en vie - Nimy Mayidika Ngimbi, Florentin Mokonda Bonza, Vunduawe Te Pemako. Question incroyablement enfantine de la Succession et qui rend toute démarche suspecte de complaisance: «Quelle est cette dette qui ne pouvait être couverte ni par les immeubles cédés, ni par la valeur des sociétés confisquées, ni par la valeur de la Banque confisquée?» Puis d’écrire ce qu’elle sait. Quoi donc? De qui tient-elle? Du mort lui-même? Des témoignages d’Outre-tombe?

DILAPIDÉS.
Pourtant, de son vivant, le patron doré des années Mobutu le reconnaît de sa propre main dans une lettre (KM/BD/1006588 du 27 juillet 1976) au commissaire d’État (ministre) de l’époque en charge du Portefeuille de l’État, Edouard Mambu ma Khenzu Makulu. «Une banque, c’est avant tout l’argent des déposants. Cet argent a été distribué sans discernement aux tiers sous forme de crédits aux clients et même au personnel de la banque». Et: «Cette situation a engendré de très graves difficultés de trésorerie qui placent en fait la banque en position de cessation de payements». Plus d’une décennie plus tard, la banque a poursuivi sa déglingue, et le Gouvernement sous la direction du Premier ministre de l’époque, Léon Kengo wa Dondo, décide de voler au secours de la banque en vue de sauver l’épargne populaire (lettre en fac-similé en page suivante). Écrivant au gouverneur de la Banque Centrale, le Premier ministre (réf. lettre PCE/01/NM/2999/8 datée du 28 novembre 1989) fait part des «mesures d’assainissement et de redressement» prises en faveur de la banque, à savoir «procéder à un accroissement important du Capital de la NBK à concurrence de 20 milliards de zaïres», «cette importante augmentation de capital se fait par transformation des créances de l’État et de la Banque du Zaïre en participation au capital de la Nouvelle Banque de Kinshasa» aussi bien que «par prise en charge par la Banque du Zaïre des sommes représentatives des insuffisances de la réserve obligatoire». Le gouvernement «charge la Banque du Zaïre, qui apporte plus de 90% de l’effort financier requis, d’assumer, jusqu’à nouvel ordre, la gestion de cette Banque». Deux ans plus tard, le Gouvernement s’étant à nouveau penché sur la tragédie du Groupe Dokolo, un autre Premier ministre, Mulumba Lukoji, notoirement décidé d’en découdre avec le «clan Kengo» et toute sa politique économique, prend le contre-pied de l’ancienne équipe gouvernementale et tend la perche à Dokolo Sanu, en lui rétrocédant 75% des actions de la NBK. Peine perdue. Sur la paille, l’ex-patron n’a ni sou, ni quelque avoir pour concrétiser la décision de son ami Lukoji qui lui aurait pourtant permis de retourner dans le jeu. Des acquéreurs dont le Groupe Lonhro vont faire des offres d’achat, sans les réaliser. Et, cahin-caha, la NBK va continuer à exister comme toutes ces entreprises publiques vouées à une disparition certaine... Dans sa lettre du 31 mai 2006, la Succession le reconnait, tardivement: «Nous ne sommes pas opposés à la liquidation de la NBK qui est une entreprise publique».
Avant d’ajouter: «Cependant, nous pensons qu’il est légitime pour nous de demander que cette liquidation ne se fasse pas sur les immeubles de la BK transférés illégalement à la NBK.
Une liquidation ne se fait pas au mépris des autres». Le problème est que tous les documents qui tombent dans le vaste bureau de marbre blanc du patron ruiné et disparu et devant lequel depuis un parking privé vous amène un étroit ascenseur en tapis Bordeaux, tous vous disent froidement, invariablement que les réclamations de la Succession ne sont fondées que sur du vent. Si Hanne Taabbel Kruse et Dokolo Nkembi croient en quelque chose, c’est sans doute en leurs propres mensonges.

SAUVÉ PAR LE GONG.
La réalité est en effet que les années Mobutu ont longtemps chouchouté Augustin Dokolo Sanu. Pour bien peu, sous d’autres cieux, d’autres patrons ont été conduits en prison, dévolus. Certes, Mobutu avait décidé de laisser se dérouler la justice. Il fit mettre le flamboyant patron devant la prison. Dokolo n’a pu être sauvé que par le fameux arrangement, la cession d’actions à la Banque du Zaïre. Dans sa lettre au faux banquier clôturant l’action, le procureur général de la République, Mongulu Apangane, aujourd’hui entré dans l’honorariat, est sans équivoque: il n’établit pas un non-lieu, il invoque l’inoportunité des poursuites vu l’arrangement (lettre en fac-similé en page suivante). «J’ai l’honneur de porter à votre connaissance que le dossier d’information judiciaire ouvert à mon office, à votre charge et à charge des membres du comité de gestion de l’ancienne banque de Kinshasa, est classé sans suite. La transaction passée entre vous et la Banque du Zaïrea éteint l’action publique». Puis: «Quant aux dettes de vos sociétés envers la Nouvelle Banque de Kinshasa, il vous appartient de trouver les moyens de les apurer dans les meilleurs délais». Physiquement, Dokolo a eu de la veine. Qu’est-ce qui explique cette offensive de la succession Dokolo contre la liquidation? Dans ce pays dérégulé, a-t-elle pensé que toutes les archives avaient été brûlées et toutes les traces effacées, que le pays avait cessé d’avoir une mémoire? L’urgence d’une mobilisation de fonds à la veille des rendez-vous politiques et le besoin de renflouer des caisses qui sonnent creuses? Des stratégies du vote Kongo que l’on offrirait à tel ou tel candidat entrent-elles en ligne de compte? Mais comment gérer les Finances publiques avec des états d’âme?
ALUNGA MBUWA.
in
Le Soft International2
n°862 daté 6 juin 2006.


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