A Kinshasa, défis relevés, défis à relever
  • jeu, 18/10/2012 - 10:56

Le voyage de Hollande laisse un goût amer. Exit les assises de Kinshasa. Dans deux ans exactement, ce sera le tour du Sénégal d’organiser le XVème Sommet et à Joseph Kabila Kabange de passer le flambeau au pays de la négritude, de la même manière que la RDC l’a reçu de la Confédération helvétique.
LESOFT INTERNATIONAL N°1196 DATE MERCREDI 17 OCTOBRE 2012
Non sans mal, tant les défis ont été immenses, nombreuses les montagnes à escalader et les rivières à traverser.
Reste qu’à la fin, tous les observateurs, y compris les plus critiques, se sont inclinés: le défi a été relevé, avec la manière en plus.
Défi de la localisation du Sommet. L’encre n’avait pas encore séché, il y a deux ans, sur la déclaration de Montreux que les critiques avaient démarré, acerbes, cruelles, impitoyables. à l’intérieur, l’opposition avait fait de la délocalisation son cheval de bataille, surfant sur l’organisation des dernières élections générales de novembre 2011, le procès des assassins du défenseur des droits de l’homme Chebeya et, plus généralement, sur la situation des droits de l’homme. Une démarche largement partagée par de nombreuses ONG de défense des droits de l’homme, dont la plupart installées en France et qui n’ont ménagé aucun effort pour investir aussi bien la cellule Afrique de l’élysée que le Quai d’Orsay.
à l’extérieur, la France elle-même, dont le français est pourtant la langue maternelle, la France dont c’est le rôle et la vocation de la promouvoir partout dans le monde et qui sait à quel point la RDC représente son avenir, n’avait pas cru devoir s’autoriser l’économie d’une guerre de tranchées contre son meilleur atout. La Belgique, flamande surtout, toujours aussi frondeuse, avait emboîté le pas pour s’opposer à ce qu’elle qualifiait de gâchis, tandis que suiviste comme à son habitude, le Canada si lointain et peu habitué aux «sensibilités françafricaines», se laissait engouffrer dans la brèche, émettant publiquement des doutes sur la crédibilité des institutions et des dirigeants r-dcongolais, sur leur capacité à organiser un événement d’une telle ampleur et à susciter l’adhésion populaire autour de cet objectif.
Des critiques et des attaques d’une virulence incroyable au point où, quatre jours avant d’effectuer le déplacement de Kinshasa, François Hollande s’est cru en devoir de monter en première ligne pour les prendre en compte - en dépit, oui, en dépit du rapport de sa propre ministre en charge de la Francophonie, Yamina Benguigui, cette Française issue de la diversité algérienne; en dépit, certainement, de l’engagement pris par le Président français lui-même de se rendre à Kinshasa et qui lui imposait, sans aucun doute, une obligation de réserve, ne serait-ce que diplomatique - se lançant du coup dans une nouvelle croisade verbale contre le pays et ses dirigeants qu’il s’engageait de visiter et... de saluer. On n’en revenait pas à Kinshasa d’entendre Hollande dire qu’il considérait «tout à fait inacceptable la situation des droits de l’homme, de la démocratie et de la reconnaissance de l’opposition en République démocratique du Congo». Des accusations gravissimes qui n’avaient malheureusement pas l’avantage de la nouveauté, mais dont la répétition, à ce niveau de responsabilité, et à quatre jours d’un rendez-vous diplomatique important, proférées devant le Secrétaire général des Nations Unies, posaient, au minimum, un sérieux problème d’éthique: comment peut-on aller chez celui que l’on critique et comment veut-on que ce dernier perçoive ce qui ne pouvait que passer pour des attaques personnelles sinon des injures tout aussi inacceptables?

échange d’amabilités.
à Kinshasa, des petites phrases ont fusé pour marquer la surprise. Tout de même, la traite et la colonisation, c’est aussi le visage de la France. On peut tenter de s’en exonérer, mais on ne l’effacera jamais. Tout de même, la Françafrique, c’est encore la France, même si, dans le style, on peut vouloir à juste titre prendre des distances vis-à-vis de ses prédécesseurs. Tout de même, à quoi servirait-il de s’accrocher à une organisation qui n’a toujours pas apporté la preuve de sa capacité à promouvoir le développement de ses membres, à favoriser les investissements et le transfert des technologies?
Très diplomate, Lambert Mende Omalanga, ministre des Médias et porte-parole du Gouvernement, a résumé le sentiment de perplexité générale, assurément avec un brin d’ironie - mais qui donc blâmerait un si petit luxe après une attaque aussi massive? - en estimant que tout cela était à mettre sur le compte d’un M. Hollande «peu informé sur le pays qu’il souhaitait visiter».
Alors, Hollande pouvait présenter une poignée de mains froide au président Kabila qu’il laisse dire tout au moins publiquement ne pas le considérer pour son homologue avant de littéralement se jeter juste à côté dans les bras d’un Diouf - peu naïf et pour la photo, puisque devant des centaines de médias du monde mais pour que jamais personne en France n’en ignore rien. Alors, Hollande pouvait ne pas applaudir une seule fois le discours de son hôte, ni le regarder une seule fois pendant qu’il parlait, le président français trop occupé à refaire son propre discours - en public, devant des millions de téléspectateurs. Alors, Kabila ayant regagné son siège à côté de celui de Hollande et attendant ne serait-ce qu’un regard de celui-ci et ne pouvant rien en attendre...
Hollande ne pouvait certainement pas s’attendre à rencontrer un Chef d’état sachant répondre du tac au tac, sans se démonter, arc-bouté sur sa fibre patriotique. Personne n’a oublié: Joseph Kabila ne s’était pas rendu à l’aéroport accueillir le Français. Il ne s’est pas non plus levé pour saluer la fin de son discours.
En diplomatie, où la réciprocité a été érigée en principe majeur, tout cela n’était pas qu’un simple échange de bons procédés. Plus tôt au cours de leur tête-à-tête, le Dirigeant congolais avait déjà répondu à son visiteur, s’agissant du procès Chebeya, qu’il ne lui revenait pas de donner des injonctions à la justice, et qu’il n’avait pas à justifier les procédures judiciaires congolaises devant un étranger, Chef de l’état fût-il. Un exercice auquel même l’opposant historique étienne Tshisekedi s’est prêté dans ce style particulier qu’on lui connaît lorsqu’il a répondu aux journalistes qui l’interrogeaient à la sortie de sa rencontre avec le Français: «La légitimité au Congo ne peut venir que du peuple congolais. En France, je ne sais pas si quelqu’un d’autre peut venir du dehors pour légitimer qui que ce soit. C’est exactement la même chose chez nous». Avant d’ajouter: «C’est passé, le temps où nous étions encore des mineurs d’âge, où l’on venait de l’extérieur nous imposer n’importe qui. C’est terminé, le peuple congolais est mûr, maintenant il est capable de se prendre en charge, il n’a pas besoin d’être légitimé par l’extérieur».
Mais la meilleure réponse, c’est celle qui est venue du Secrétaire général de la Francophonie, le Sénégalais Abdou Diouf. Celui-ci a fustigé l’absence de démocratie et de justice sur la scène internationale du fait des grandes puissances, mais aussi la politique des deux poids deux mesures pratiquée par celles-ci. Plutôt, le Soft International n’avait pas écrit autre chose...
La RDC a également fait face à plusieurs autres défis pour le succès du XIVème Sommet de la Francophonie. D’abord celui de l’organisation, qui a pourtant réussi au-delà de toutes les espérances, en dépit de toutes les rumeurs d’attentats, des craintes d’actes de sabotage… Au total, 79 pays ont effectué le déplacement de Kinshasa, dont 15 représentés par des chefs d’état, ce qui constituait un succès authentique.
Mais c’est sur le plan de la communication que la RDC a réalisé un travail remarquable grâce auquel, notamment, le Rwanda est aujourd’hui l’ombre de lui-même sur la scène politique internationale, où les condamnations de l’agression dont la RDC est l’objet et du soutien apporté au M23 succèdent aux autres, poussant même plusieurs soutiens parmi les plus fidèles du régime de Kigali à annoncer la suspension de leurs aides. Et Hollande lui-même, bien avant la déclaration de Kinshasa qui condamne clairement l’agression dont notre pays est la victime, à réaffirmer dans son allocution le principe de l’inviolabilité des frontières de la RDC.
La méthode Kabila a ainsi porté ses fruits. Mais pour cela, il fallait relever un autre défi, tout aussi colossal, celui de l’humilité. Face à une opposition qui ne lui a laissé aucun répit, face à des attaques extérieures qui pouvaient passer pour autant de provocations, face aux humiliations répétées, des vois s’étaient élevées, y compris au sein de la majorité, pour estimer que trop, c’était trop, et qu’il fallait, au mieux renoncer à l’organisation du Sommet, au pire se retirer de la Francophonie. Pourtant, face à ces pressions qui se multipliaient jusqu’au sein de sa propre base, face à cette demande qui s’exprimait de plus en plus ouvertement pour traduire le sentiment général du ras-le-bol, Joseph Kabila a continué à garder son calme, à jurer qu’il respecterait jusqu’au bout ses engagements, envers et contre tous.
Il a fallu au Président congolais plus que du courage, une foi inébranlable pour soulever la montagne des critiques et croire dans le génie et la force morale de son peuple à surmonter les humiliations. à la fin, le plus pathétique était de voir Hollande raturer son texte, reléguant du coup l’exigence démocratique et en matière des droits de l’homme en dernière position, sans prendre le temps de la développer, se contentant plus tard, à la résidence de France, d’appeler l’opposition à être moins agressive et plus participative.
Pathétique aussi cette image, montrant Hollande, en pleine Cité de l’Union Africaine, aux côtés de Joseph Kabila, riant et partageant avec lui un verre de champagne. à peine inimaginable quelques heures auparavant. Mais Joseph Kabila n’avait-il pas le droit de savourer cet instant de triomphe, avant de laisser son hôte reprendre son chemin, celui de l’aéroport?
Lorsqu’un journaliste demande si Hollande peut un jour avoir les mêmes propos que ceux lancés depuis Paris contre la RDC à l’endroit des états-Unis, comprend-on toujours que quelque chose est en train de changer, que ces lignes dont parle Abdou Diouf sont en train de bouger, que les Africains ont de plus en plus besoin de développer avec leurs partenaires du nord des rapports décomplexés, qu’ils réclament leur part d’humanité autant que leur droit à la dignité?
Une chose restera à jamais sûre: l’épisode de ce XIVème Sommet de la Francophonie était porteur de beaucoup de leçons. Dont la principale est que, pour être pris au sérieux, les Congolais doivent eux-mêmes se prendre au sérieux, ne rien attendre de l’extérieur. Ils doivent apprendre à s’organiser, à se doter des moyens de leur ambition, à monter en puissance leur économie - ce à quoi s’emploie le Gouvernement Matata, dont les performances sont unanimement saluées en termes de stabilité macroéconomique, de poursuite de la construction des infrastructures en dépit de la guerre - par tous les diplomates, à commencer par les Français, d’assainissement du milieu de vie - nos villes n’ont jamais été aussi propres depuis 30 ans -, d’émergence d’une nouvelle classe moyenne et, surtout, d’amélioration du climat des affaires. Il leur faut, enfin, réorganiser leur diplomatie et la rendre plus décomplexée. Il leur faut repenser leurs outils de communication en faisant, définitivement, le choix des nouvelles technologies de l’information et de la communication comme outils de la nouvelle économie numérique qui se met en place à l’échelle de la planète. Défis relevés oui, mais des défis à relever....
Bapa Banga

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