Faute à Déo
  • mar, 09/06/2020 - 04:23

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1487|MARDI 9 JUIN 2020.

Tous invoquent la notion d’urgence, interminablement. Voire d’extrême urgence. Le piège au procès des 100 Jours dans son acte des 4500 maisons turques préfabriquées commandées ou pas à la société Karmod. Classique pour quiconque a pensé, rêvé, mis au point un subtil attelage pour l’emporter sur des interlocuteurs naïfs. Suffit de dire que le temps presse; que le Chef a hâte de voir du résultat; que cela ne saurait attendre; et que s’il faut se passer des procédures, des préalables techniques - les prérequis - il faut. Le Président aurait-il instruit qu’on passe les procédures invoquant l’urgence voire l’extrême urgence? Le Chef met le cap, étale une vision, aux collaborateurs en charge du dossier de s’assurer de la faisabilité, de l’atteignabilité dans le plus strict respect des procédures quelconques, sociales, politiques, techniques. Alors que la tempête frappe fort, un pilote de Kenya Airways a hâte d’assouvir une envie, passe par perte et profits les recommandations de la tour de contrôle, lève son Boeing 737-800.
Le vol KQ 507 affrété par la compagnie aérienne kenyane reliait les villes de Douala à Nairobi. Il transportait 114 personnes, 105 passagers dont 34 Camerounais, 9 membres d’équipage.
Le vol n’ira pas loin.

Il disparaît des écrans radar peu après avoir décollé.
Cette nuit du 4 au 5 mai 2007 (le Boeing sorti d’usine en 2006, un an auparavant), il faisait très mauvais temps dans la Capitale économique camerounaise : forte pluie avec des vents très violents.
La tour de contrôle fait part de ses réserves sur la météo. D’autres vols sont restés cloués au sol. Le pilote, âgé de 52 ans et totalisant 8.682 heures de vol, de Kenya Airways a décollé. A Nairobi, l’homme avait un rendez-vous galant qui aurait pu attendre mais n’aura jamais lieu.
Il est environ minuit à Douala et l’avion devait se poser à 6h10’ du matin sur l’aéroport international Jomo Kenyatta de Nairobi.

CONTROLE, COORDINATION.
Au petit matin du 5 mai, la nouvelle se répand à travers le monde et des équipes de recherches au départ de Douala et de Yaoundé se déploient sur l’itinéraire que l’avion était supposé emprunter. En France, le Centre de recherche par satellite de Toulouse indique qu’il avait capté un signal de détresse dans le Sud du Cameroun. Les équipes se dirigèrent vers la province du Sud, à Kribi et Mvengue. Des pêcheurs témoignent avoir entendu une explosion dans la nuit au large de la ville. On commence à penser que le vol s’est abîmé en mer. Pourtant pas trace d’épave. Les équipes remontent vers Douala. RAS. La nuit tombe sans résultat. Ce n’est que le lendemain, en début de soirée, qu’un chasseur de Douala découvrit le lieu du crash à Mbanga Pongo, une mangrove située à moins de 5 km du bout du lieu de décollage, la piste de l’aéroport international de Douala.

Les difficultés pour retrouver le site étaient de deux ordres : nul ne savait pas combien de temps l’avion avait encore mis en vol après sa dernière communication avec la tour de contrôle. Puis, la végétation abondante au lieu du crash n’a pas permis aux avions de recherche de le remarquer.
Résultats officiels de l’enquête technique ouverte quelques jours après l’accident par l’Autorité aéronautique du Cameroun, ils sont rendus publics en mai 2010.

Ils révèlent que l’équipage du vol KQ 507 de Kenya Airways avait été victime d’une désorientation spatiale. Le pilote a négligé les procédures de vol et fait preuve d’une collaboration insuffisante.
Le rapport d’enquête est formel. Dans la deuxième paragraphe de sa conclusion consacrée aux «causes probables», on lit: «L’avion s’est crashé après une perte de contrôle par l’équipage résultant d’une désorientation spatiale (…) après une longue et lente inclinaison pendant laquelle aucune vérification des instruments de bord n’a été effectuée, et en l’absence de repères visuels dans une nuit noire».

LA MORALE DU VOL KQ507.
Le rapport poursuit: «un contrôle opérationnel inadéquat, manque de coordination de la part de l’équipage, associés au non-respect des procédures de vol, confusion dans l’utilisation du pilote automatique ont également contribué à causer cette situation». La conclusion du rapport d’enquête est accompagnée d’une relation des différents faits qui ont marqué les derniers instants de ce vol, depuis la piste jusqu’au moment où il s’écrase dans la mangrove de Mbanga Pongo.

Il apparaît au regard de cette conclusion de l’enquête que dès le départ, le pilote «ne vérifie pas ses instruments de vol» comme il est d’usage. Ensuite, il lance la procédure de décollage à 0 h 06 min sans autorisation de la tour de contrôle.
Néanmoins, jusqu’à une altitude de 1.000 pieds (305 m), il parvient à maîtriser l’avion qui a tendance à s’incliner progressivement vers la droite. C’est à cette altitude qu’intervient l’erreur qui attire le plus l’attention dans les conclusions du rapport. L’enquête révèle qu’à partir de cette altitude-là, le pilote relâche les commandes de l’avion pendant 55 secondes, sans avoir au préalable branché le pilote automatique qu’il annonce pourtant comme étant en marche.

Assis à ses côtés, le copilote (âgé de 23 ans et totalisant 831 heures de vol) «qui est de nature réservé, n’attire pas l’attention du commandant de bord sur ces erreurs de pilotage». Toujours est-il que l’angle d’inclinaison de l’avion sur la droite continue à s’accroître lentement sans que le pilote ne s’en rende compte. Il ne le constate qu’au moment où l’inclinaison atteint un seuil critique et juste avant le déclenchement d’une alarme prévue à cet effet. Il reprend alors soudain le contrôle et, dans la confusion, il augmente plutôt l’angle d’inclinaison qui passe de 34° à 50°. C’est alors qu’il branche le pilote automatique qui stabilise l’inclinaison. Mais cette stabilisation ne suffit pas et le pilote reprend le contrôle et l’angle d’inclinaison de l’appareil passe à 70°. Il hurle : «On va s’écraser!», ce que confirme aussitôt le copilote.

Tentant de reprendre la situation en main, le commandant de bord actionne vers la droite et de manière prolongée la gouverne de direction, pièce verticale située sur la queue de l’avion. Cette manœuvre a deux inconvénients: elle fait passer l’angle d’inclinaison à 90°; puis, l’avion décroche et commence à descendre en vrille.
C’est alors que le copilote lui demande d’actionner les ailerons à droite, avant de corriger aussitôt : «à gauche, à gauche, à gauche, commandant». Peu après, l’avion revient à une inclinaison de 70°.

LOURDE
FAUTE DE DEO.

Mais il est déjà trop tard et l’appareil percute le sol à environ 0h08 min, ne laissant aucune chance de survie à ses 114 occupants. Voici les termes dans lesquels l’enquête se conclut: «L’avion s’est écrasé après que l’équipage a perdu le contrôle en raison d’une désorientation spatiale (de type non reconnu ou subtil qui tend vers une désorientation spatiale reconnue), après un long et lent roulis au cours duquel il n’y a pas eu de balayage visuel des instruments, et en l’absence de repères visuels externes en pleine nuit. Cette situation peut également s’expliquer par un contrôle inapproprié des opérations, un manque de coordination entre les membres de l’équipage, associé à un non-respect des procédures de surveillance de vol et à une confusion dans l’utilisation de l’AP».

Morale de l’histoire? S’il y a à inventer sur Terre, on n’inventera pas le fil à couper le beurre. Il va d’un projet comme d’un vol. Vous avez beau être pressé, il faut au préalable vous assurer de la faisabilité, de l’atteignabilité dans le plus strict respect des procédures quelconques, sociales, politiques, techniques.
Dans les choix, il faut associer les équipes. Dans le projet des 100 jours, il n’y a eu rien de tel. En l’espèce, l’homme à qui l’on doit décerner la palme d’or de l’incurie ou de... est le gouverneur de la Banque Centrale du Congo, Déogratias Mutombo Mwana Nyembo dit «Déo».

Dans ce dossier comme dans d’autres, le gouverneur n’a pas été à la hauteur. Il est certainement aussi poursuivable par la justice au même titre que les deux co-accusés. Certainement plus qu’eux.
Même si le Libanais de Samibo Sarl Jammal Samih dispose d’une recette imparable pour arriver à ses fins - feindre de se donner la mort en public - pour émouvoir ses vis-à-vis, nul ne l’a cité tout au long de ce procès comme ayant rencontré ou approché Déo.

Mais comment et pourquoi le gouverneur a-t-il d’ne part autorisé la paie de plusieurs millions de $US et, d’autre part, n’a alerté aucune autorité, ni aucune structure de compliance quand ce pactole a été dérouté de la banque d’origine, payé cach, puis, last not least, a pris des directions diverses? Comment a-t-il osé puiser ces millions dans les réserves stratégiques pour les mettre encore plus en danger? A-t-il vraiment voulu satisfaire l’envie d’un homme ou le gouverneur dont le mandat peu performant qui prend fin dans moins d’un an a-t-il trouvé son propre compte - en millions de $US - dans ces tripatouillages d’autant que, tirant les conséquences du conseiller lanceur d’alerte Marcellin Bilambo, les chiffres ne sont pas ceux généralement balancés? Certes, la justice congolaise a pris le bon élan. Elle doit néanmoins pousser plus loin.
T. MATOTU.


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