Congo à Paris Kiese na Kiese
  • dim, 12/07/2015 - 23:46

Terminé Congo Bashing. Paris et le monde redécouvrent le Congo-RDC de Kabila…

Une gigantesque exposition d’œuvre d’art contemporain du Congo à Paris fait parler notre pays comme jamais nul ne l’avait fait à ce jour. Baptisée «Beauté Congo-Congo Kitoko», l’exposition visitée par un nombre impressionnant de journalistes du monde a eu l’honneur de recevoir la visite du premier ministre français Manuel Valls. Il ne manquait que le président François Hollande. Il est vrai que Beauté Congo (11 juillet-15 novembre 2015 a lieu à la Fondation Cartier pour l’art contemporain, 261, boulevard Raspail, 75014 Paris). Florilège de textes allant du Monde à France 24 en passant par Elle et Rfi. Vous avez dit Congo Bashing?

A Paris, à la très chic et très branchée Fondation Cartier, «Beauté Congo» réunit plus de 300 œuvres de presque un siècle et démontre la profondeur artistique et l’envergure historique d’un art moderne et contemporain qui a trouvé sa place au Congo dès les années 1920.
Chamarrée et musicale, tout en stridence et pizzicati, l’exposition «Beauté Congo-Congo Kitoko», conçue par le curateur André Magnin, restitue l’énergie débridée de Kinshasa. Elle offre aussi une leçon de regard, exhortant le visiteur à se défaire de ses œillères pour savourer un art hâtivement qualifié de folklorique, archaïque ou naïf.

MAGICIENS DU QUOTIDIEN.
Le pari est ambitieux: explorer quatre-vingt-dix ans d’une histoire morcelée. Il est aussi risqué car il retrace en filigrane une violente histoire coloniale sur laquelle le catalogue ne fait d’ailleurs pas l’impasse. En rendant hommage aux artistes précurseurs des années 1920 et 1940, le commissaire célèbre en creux des chercheurs d’art blancs, belges ou français, dont les passions africaines ne furent pas dénuées d’ambiguïté. Aussi lui fera-t-on sans doute les mêmes griefs qu’aux «Magiciens de la terre», exposition séminale de 1989 dont il fut co-commissaire: nostalgie du pittoresque, quête d’exotisme, tentation primitiviste.
Cette ambivalence, les artistes congolais n’en sont pas dupes. «Nous Africains nous avons abdiqué devant la machine à écrire l’histoire, nous avait déclaré Chéri Chérin, à Kinshasa. Demain, nous devons nous confier à la pensée des Occidentaux qui détiennent nos œuvres, notre histoire». Pas question pour leur complaire de devenir des suppôts de leur esthétique. Dans un tableau intitulé Non! Comprendre, Cheik Ledy signifiait sa perplexité devant l’abstraction européenne alors que l’école populaire kinoise militait pour une figuration compréhensible par tous. Nonobstant les paradoxes inhérents à l’entreprise, il faut rendre grâce à l’exposition d’exhumer des artistes des années 1920 au talent fou comme Albert Lubaki, sa femme Antoinette ou Djilatendo. Inspirés des tapisseries kasaï et des motifs kuba, ces peintres de case ont porté la simplicité au rang de sublime, avec une économie de moyens et un trait rapide stylisant la vie quotidienne, la faune et la flore. On ignore ce que sont devenus ces magiciens du quotidien.
Forcément elliptique, l’accrochage fait un bond sans transition vers l’Atelier du Hangar, académie d’art populaire indigène établie en 1946 à Lubumbashi, ancienne Elisabethville, par le marin Pierre Romain-Desfossés. Chaque peintre fourbit son style. Mwenze Kibwanga use d’une palette terreuse pour représenter des mêlées humaines. Pilipili Mulongoy s’attache à une nature généreuse et foisonnante. Là encore l’histoire bégaie. On perd trace de la plupart de ces artistes.
Postmodernes et afrofuturistes
Fondu enchaîné sur Moké, pionnier de la peinture populaire, dont est accroché un surprenant tableau sur fond olive, représentant une paire de godillots et une chaussure isolée. On songe aux souliers de Van Gogh, gifle au bon goût bourgeois. Moké connaissait-il cette toile? Difficile à dire. Une chose est sûre: comme le peintre néerlandais, ces artistes ont tiré le diable par la queue. Pas question de céder pour autant au pathos. Inconsciemment postmodernes, afrofuturistes avant l’heure, les deux maquettes de villes chatoyantes de Bodys Kingelez dessinent un avenir radieux, tout comme la Cité des étoiles clignotante de Rigobert Nimi.
Humour et dialectique sont les deux mamelles des peintres populaires, en majesté au rez-de-chaussée. Le politiquement correct, ils ne connaissent pas. Cheik Ledy brocarde aussi bien le protectionnisme de l’Occident que les motivations des migrants. Il passe tout autant au crible les blocages de la société congolaise. Un tableau hilarant présente quatre personnes coincées à la table des négociations, la tête bourdonnant de points d’interrogations sans réponses.
Face à la verve haute en couleur des cadors de la peinture populaire tels que Chéri Samba ou Chéri Chérin, la jeune génération peine à se distinguer. Certains tâtonnent dans des explosions colorées, d’autres se complaisent dans le collage. Seul Sammy Baloji, vivant entre Lubumbashi et Bruxelles, a trouvé son langage propre en jonglant avec l’archive et le photomontage.
Dans la série Congo Far West accrochée à la Fondation Cartier, il mêle des aquarelles du peintre belge Léon Dardenne aux photos de l’expédition scientifique au Katanga effectuée au tournant du XXe siècle. Les indigènes toisent l’objectif, suspicieux, comme pour signifier au photographe blanc qu’il est aussi exotique à leurs yeux qu’eux semblent incongrus aux siens…

ON SE LAISSE EMPORTER.
Enfilez vos lunettes de soleil et laissez-vous ravir. De la touffeur de Kinshasa à la fraîcheur des aubes en brousse, une exposition-fleuve, nourrie de 90 ans d’art congolais, nous embarque au pays des couleurs insolentes et des styles à rêver debout.
Plaisirs rebelles.
Trente ans de dictature n’auront pas réussi à ratatiner une créativité hors norme. Dès les années 70, clubbeurs ultra sapés de Jean Depara et noceurs goguenards du «grand» Moké roulent des hanches et biberonnent de la Primus à la barbe de Mobutu, tandis que Chéri Samba repeint à coups d’humour et de paillettes le chaos de la mégalopole zaïroise. Naïf? «Populaire», rétorque le maître de «cet art fait par et pour le peuple» qui dépeint sexe, moustiques et politique au style direct. Et percute.
Natures indépendantes.
Autre époque, autres chaînes, coloniales cette fois. Dont les artistes katangais s’affranchissent d’un geste radical. Mwenze Kibwanga fend l’académisme belge de ses hachures vibrantes pendant que Bela Sara préfère peindre avec ses doigts et que Mode Muntu tricote un style graphique flamboyant, cousin lointain de Keith Haring. L’école du hangar tient la dragée haute au monde depuis sa «brousse».
Pied de nez au marasme économique et politique, l’art contemporain congolais rayonne et questionne: la place de l’Afrique pour Monsengo Shula, le rôle de l’homme pour Steve Bandoma ou l’ordre du monde pour Kiripi Katembo. Sa poésie frontale, comme la joie de JP Mika, éclabousse.

UNE HISTOIRE.
Peinture, sculpture, photographie, bande dessinée, musique..., l’exposition «Beauté Congo» retrace 90 ans d’histoire de la scène artistique congolaise.Après avoir accueilli plusieurs expositions individuelles d’artistes de la République démocratique du Congo, tels le sculpteur Bodys Isek Kingelez en 1995 ou le peintre Chéri Samba en 2004, la Fondation Cartier, à Paris, met à l’honneur près d’un siècle de créativité artisitique dans ce vaste pays d’Afrique centrale. Des précurseurs des années 1920 à la jeune génération de l’académie des Beaux-Arts de Kinshasa, la scène congolaise recouvre mille facettes où s’entremêlent les disciplines. Peinture, sculpture, photographie, bande dessinée mais aussi musique... l’exposition de la Fondation Cartier entend montrer la vitalité et la diversité d’une production artistique longtemps ignorée des musées occidentaux.
Visite guidée avec la conservatrice Leanne Sacramone.
«Au milieu des années 1920, un administrateur belge appelé Georges Thiry tombe sur des peintures ornant des cases au Katanga. Parmi les peintres figurent Albert Antoinette Lubaki et Djilatendo à qui il va donner du papier et des aquarelles afin qu’ils fixent leurs œuvres sur des supports pérennes.
Ces artistes abordaient des sujets animaliers, reproduisent des motifs de tissus traditionnels ou peignent des scènes de vie au village. Ils intégraient également dans leurs œuvres des choses qui leur étaient contemporaines, comme des trains, des avions, des missionnaires.
Après les années 1940, on perd leur trace et n’avons que très peu éléments de leur biographie. Ces peintres restent très peu connus, même des artistes congolais». «En 1946, à Lubumbashi, alors appelé Elisabethville, un peintre amateur français du nom de Pierre-Romain Desfossés crée un atelier, l’Atelier du Hangar, pour lequel il recrute des artistes qu’il encourage non pas à imiter des œuvres européennes mais à s’inspirer de leur propre environnement, de leur propre légende, de leur propre village… Dans cet atelier, qui va perdurer jusqu’à la mort de Desfossés en 1954, trois artistes se sont distingués : Bela Sara, Pilipili Mulongoy et Mwenze Kibwanga. Chacun y a développé un style différent : le premier, la peinture au doigt ; le second, les tâches de peinture, et le troisième, la hachure avec des couleurs ocres et brunes. Trois ans après Pierre-Romain Desfossés, un certain Laurent Moonens va créer une école des Beaux-Arts où Pilipili Mulongoy et Mwenze Kibwanga vont former d’autres artistes. Elisabethville devient alors un centre artistique important au Congo. L’un des élèves les plus célèbres de cette école est Mode Muntu qui y était à l’adolescence car les Beaux-Arts acceptaient tout le monde, les jeunes comme les plus âgés». «Venu d’Angola, Jean Depara arrive à Kinshasa dans les années 1950, où beaucoup de studios photos sont alors tenus par des Angolais. Mais le travail de studio ne l’intéresse pas. Ce qu’il veut faire, c’est aller photographier les gens dans la rue. À cette époque, Kinshasa est déjà une grande ville cosmopolite. Depara va témoigner de la vie nocturne qui s’y développe, il va fréquenter les bars à la mode, les gens à la mode et va même devenir le photographe officiel du Elvis local, qui s’appelle Franco. Il va également photographier les belles femmes, dont les Mosikis, une sorte de société d’élégance qui adopte la mode vestimentaire européenne». «Au milieu de ce chaos urbain qui est Kinshasa, le sculpteur Bodys Isek Kingelez décide de créer ce qu’il considère comme la cité idéale à partir de carton, de plastique…»
«Moke est l’un des premiers peintres populaires du Congo. Né dans un petit village, il arrive à Kinshasa en 1970, à l’âge de 13 ans. Il va être étonné par les voitures, les gens habillés à la mode européenne, le monde de la nuit. Comme Jean Depara, il va s’inspirer de ce qui l’entoure. En 1974, il va peindre le fameux match de boxe entre Mohamed Ali et Georges Foreman à Kinshasa. Ce qui est drôle, c’est qu’il y représente le KO final et, en même temps, le match. Il y a en fait deux scènes dans le même tableau».
«Après Moke, de jeunes peintres populaires, comme Chéri Chérin, Chéri Samba ou encore Pierre Bodo, vont se faire connaître lors d’une exposition organisée en 1978 à l’Académie des Beaux-Arts de Kinshasa. Ils vont se différencier des autres artistes de l’Académie en s’inspirant non pas des traditions européennes mais de la vie en ville, des événements politiques, des rumeurs colportées dans la rue, etc. Pour cela, ils vont utiliser des couleurs très vives, et certains, comme Chéri Samba, vont intégrer du texte dans les images. Avant d’être peintre, beaucoup ont commencé en peignant des enseignes publicitaires ou en faisant des bandes dessinées».
Ces artistes abordaient des sujets animaliers, reproduisent des motifs de tissus traditionnels ou peignent des scènes de vie au village. Ils intégraient également dans leurs œuvres des choses qui leur étaient contemporaines, comme des trains, des avions, des missionnaires. Après les années 1940, on perd leur trace et n’avons que très peu éléments de leur biographie. Ces peintres restent très peu connus, même des artistes congolais». «Dans la jeune génération d’artistes congolais, certains poursuivent la tradition des peintres populaires tout en développant leur propre technique. Formé par Chéri Chérin, JP Mika peint, par exemple, ses portraits directement sur des tissus achetés au marché. Mais ce qui réunit tous ces artistes nés autour de 1980, c’est leur passion pour l’environnement urbain ainsi que pour les sujets liés à l’Histoire, aux événements politiques du pays, à la mémoire collective. Pathy Tshindele fait des œuvres très différentes, dont certaines se rapprochent du graffiti. Sammy Baloji confronte l’histoire coloniale à l’histoire contemporaine en juxtaposant des photos d’indigènes du Katanga prises à la fin du XIXe lors d’expéditions belges avec des aquarelles d’aujourd’hui. Kiripi Katembo photographie, quant à lui, Kinshasa à travers ses flaques d’eau. L’exposition «Beauté Congo» est une sorte de miroir du Congo. À travers toutes ces œuvres qui parlent de l’époque coloniale, de la rue, de politique, on découvre les différentes facettes du pays. Mais l’art congolais a une telle diversité que rien ne relie vraiment le tout.
La magistrale exposition «Beauté Congo» comprend des dizaines d’œuvres puissantes. De la peinture mais aussi des photos. La rétrospective n’oublie pas ce versant de la création artistique de l’ex-Zaïre, des précurseurs aux contemporains. On y croise notamment des portraits en noir et blanc du musicien Franco et de jeunes des années 1970 habillés en Billy the Kid... Au sous-sol de la Fondation Cartier, les précurseurs de l’art contemporain de l’actuelle République démocratique du Congo règnent en maître. Se répondent, sur les murs, des œuvres évocatrices de l’univers des années 1950 et 1960 à Kinshasa - à l’époque de Mobutu. Les photos de Jean Depara (1928-1997), «reporter de l’extravagance des fêtes et des nuits kinoises», indique la Fondation Cartier, montre des scènes de rue ainsi légendées: «femmes en tenue de soirée», « belles de nuit» et autres «embrassades» fougueuses. Sans oublier Franco, le roi de la rumba et de l’OK Jazz, à la guitare, et un Bill de Léopoldville immortalisé en 1958, qui témoigne du goût ancien et prononcé des Congolais pour l’art vestimentaire inspiré à l’époque du western. De ces clichés émane toute une dolce vita propre à Kinshasa, cette ville tentaculaire qui cultive toujours l’art d’échapper à sa propre misère, à coups de bière Primus et de musique légère.Un autre grand photographe, Ambroise Ngaimoko, d’origine angolaise comme Depara, est quant à lui connu pour son Studio 3Z, ouvert en 1971 à Kinshasa. Un lieu qui lui a permis de mettre en scène des portraits posés, conçus pour être des photos-souvenirs de jeunes Kinois, athlètes ou dandies, auxquels il fournit des accessoires et un décor. Il se concentre sur le monde de la Société des ambianceurs et des personnes élégantes (SAPE), et immortalise des scènes sous des légendes d’anthologie, comme par exemple Euphorie de deux jeunes gens qui se retrouvent, sous le cliché pris en 1972 de deux jeunes compères, bras-dessus bras-dessous, cigarettes au bec et pantalons pattes d’éléphant. (...).


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