Comment la France de Valéry Giscard d'Estaing sauta sur Kolwezi
  • mar, 07/03/2023 - 09:01

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.

Le Soft International n°1577|lundi 6 mars 2023.

 

N'en déplaise au général Puga, Kolwezi fut une affaire d'hommes, une histoire de héros.
Une opération militaire, rapide comme l'éclair, redoutablement efficace, comme on aime à se les imaginer. Un condensé de force virile pour la bonne cause qui emballerait les esprits les plus chevaleresques.
Tout ce qui a le don de hérisser le général qui ne cesse de marteler: «Ce sont des rêveurs casqués, ceux qui parlent de belles guerres et veulent l'enrober de littérature». Il n'empêche. On aimerait bien faire de la littérature avec le général, à Kolwezi, ex-Zaïre. Imaginez un jeune officier, 25 ans, le plus jeune d'ailleurs, brillant, parachuté au sens propre du terme, sur une toute première mission aéroportée menée au sein de la Légion étrangère, et qui deviendra plus tard un parfait cas d'école, étudié non seulement dans les écoles militaires françaises, mais aussi dans les écoles américaines. Américain justement, le parachute l'était. Le commandant Zlatko Sabljic, 23 ans à l'époque, s'en souvient très bien.
«On est parti en catastrophe, normal. Mais on avait dû choisir entre les parachutes et les munitions avant de prendre l'avion qui nous emmenait sur Kinshasa. Le commandement a évidemment opté pour la première des solutions. Donc, on s'est servi sur place et les seuls parachutes à disposition, c'étaient les T10, des modèles américains». Et alors? «Alors, ils n'avaient pas de harnais pour accrocher notre arme, comme sur les Français. On a dû en bricoler un, vite fait, avec du fil de fer, où l'on a pu accrocher notre arme».
1978. Le président Valéry Giscard d'Estaing a eu le temps d'être informé, de partir en week-end, soudainement injoignable, d'hésiter puis enfin de prendre la décision d'y aller, lorsque les pillages et les massacres ont déjà commencé depuis le 13 mai, à Kolwezi, ville minière au sud-est du Zaïre, en plein territoire katangais. Le président général Mobutu Sese Seko est au pouvoir. La presse de l'époque pense, à tort, et l'Histoire le prouvera, qu'il ne fera pas long feu. Ce qu'on a appelé la deuxième guerre du Shaba a débuté. La première avait eu lieu en 1977 et avait été réglée, sans trop de dommages, par une intervention franco-marocaine. Mais le Shaba, ex-Katanga, attise toujours autant les convoitises.
C'est un territoire grand comme la France et on y trouve, pêle-mêle, du cuivre, du cobalt, de l'uranium et du radium. C'est donc, bel et bien, à une nouvelle tentative de sécession que l'on assiste. Avec l'appui, et malgré les démentis, de l'Angola, indépendant depuis 1975. Cette fois, néanmoins, ceux que l'on avait appelés par le passé les gendarmes katangais, et qui se sont regroupés sous le sigle du FLNC, Front de libération nationale du Congo, sont nettement plus au point. Ils ont peaufiné leur entraînement, encadrés par les hommes de la révolution cubaine de Fidel Castro. Et ils sont allés très vite. Parce qu'au matin du 13 mai, le Shaba est coupé en deux parties et plus de deux mille Européens ont été pris en otage.
Mais revenons à nos légionnaires qui sont encore à Calvi, en Corse, en train de s'entraîner. Sabljic n'est encore que sergent-chef. Un autre homme, l'aumônier Yannick Lallemand, crapahute, lui aussi, quelque part dans le maquis corse. Il l'apprendra plus tard, le dira et redira avec toujours autant de fierté : le colonel Philippe Erulin, qui dirigera les 400 parachutistes du 2e REP sur le terrain, a cherché à le joindre toute la journée.

PARACHUTE EN GUISE DE LINCEUL.
«En ce temps-là, on n'emmenait pas l'aumônier, mais visiblement il tenait à moi, parce qu'il m'a bombardé brancardier, pour que je puisse faire partie de cette expédition. Aujourd'hui, il y a systématiquement une place pour nous».
- «Est-ce que vous prendrez une arme», lui demande-t-on, lorsqu'il va chercher son paquetage ?
- «Non», répond-il, avec la certitude des hommes de foi. «Je m'en remets à Dieu et à mes légionnaires».
Mercredi 17 mai 1978. C'est la mise en alerte. L'opération baptisée Léopard est lancée. Les hommes d'Erulin arrivent le soir à Kinshasa. Ils ont dû se défaire de leur propre matériel de saut, un comble pour des paras, en raison de la petitesse des appareils aériens. «On a dû laisser tout le superflu, poursuit Sabljic, les médicaments, les vêtements pas indispensables, pour ne garder qu'un bon gros paquet de munitions». L'aumônier a une pensée pour sa mère. «Si j'y reste, ça va faire beaucoup». Son frère étant mort en Algérie. Sabljic, lui, jette un coup d'œil à sa feuille de route qu'il a soigneusement pliée en quatre et placée dans son portefeuille. Il s'agit d'une photocopie en noir et blanc, format A4, sur laquelle figurent les objectifs. «Inutile d'imaginer une palanquée de cartes avec des données ultraprécises et détaillées», poursuit le commandant, avec amusement. «On n'était pas encore à l'ère de l'informatique».
A 8:30', le vendredi 19 mai, les avions sont en piste, prêts à décoller. Cinq C130 zaïrois et deux Transall arrivés dans la nuit du Tchad. Il y aura encore un contretemps, une tentative d'arrêter carrément l'opération, mais à 15:12', le premier des 400 parachutistes saute sur Kolwezi. A 15:30', ils établissent le contact avec les premiers civils. Au moment du largage pourtant, le départ a été chaotique. Les banquettes du Transall sont tellement endommagées que cela entrave la bonne circulation des militaires harnachés. «On n'a pas pu sauter dans l'ordre requis, explique Sabljic. L'ouverture des portes ne se faisait pas». Les paras ont donc récupéré leurs fameux T10 américains, et s'apprêtent à faire ce qu'ils ont effectué des centaines de fois en entraînement : sauter dans le vide. «Sauf que là, quand on a ouvert les portes, on a senti que le sol n'était pas bien haut». 250 m, en effet, alors que, d'ordinaire, les sauts se font à 400 m de hauteur. «On a eu d'un coup d'un seul les odeurs des hautes herbes vertes et celle de la mort, à cause des cadavres qu'il y avait déjà partout». Le padre atterrit sur le cadavre d'un Africain que les chiens ont déjà entamé.
Le largage patauge aussi un peu. Résultat : Sabljic se retrouve à 400 m de son point de chute programmé. «On avait pour mission de s'emparer du Motel Ampala censé être un repaire de rebelles. En fait, on a atterri juste à 30 m de l'écriteau qui indiquait l'établissement. Heureusement pour nous, les types avaient décampé». Un autre des légionnaires reste accroché dans un arbre. Problématique, d'autant qu'il s'agit du transporteur radio. Un autre encore, tout juste 18 ans, s'empêtre dans l'empennage du C130. «Lui, il a eu la peur de sa vie», rigole le padre. «D'ailleurs, lorsqu'on est rentré à Calvi, il a déserté!» Sabljic avance, l'autre mission étant de s'emparer puis de sécuriser le pont qui sépare Kolwezi, la nouvelle, la ville des Européens, et Kolwezi, l'ancienne, habitée par la population zaïroise. «On est arrivé à proximité de la cité Manika, près d'une école, et il y avait une grenade dégoupillée, là juste devant nous. J'ai shooté dedans, dans l'autre sens, et je m'apprêtais à en balancer une, lorsqu'on a entendu les premières notes de la Marseillaise. En fait, il y avait 37 Européens et 9 Africains qui s'y étaient réfugiés. On aurait pu faire un carnage».
Les légionnaires n'ont pas encore sécurisé la zone. Mais ils ont leurs premiers morts. Le caporal d'élite, Arnold, une petite vingtaine, dont on aperçoit les pieds blancs qui sortent de terre. Il a été enterré avec son casque encore sur la tête. Le corps a été lacéré, la tête a explosé. «Mais qu'en faire?», s'indigne encore le padre. «Où le mettre ? Il n'y avait pas de cercueil. Alors j'ai pris un parachute et je l'ai enroulé dedans, comme dans un linceul. Il est arrivé et il est reparti dans son parachute». Il y aura le sergent-chef Daniel, 25 ans, capturé par les rebelles et emmené sur une colline. Ses potes la prendront d'assaut. Trop tard, Daniel a été tué de deux balles dans le cœur. Au total, cinq légionnaires trouveront la mort au combat et une vingtaine seront blessés. Le général Benoît Puga pense encore à eux. «Je m'en souviendrai toujours. Ils sont la preuve que la guerre, c'est d'abord un groupe, un travail d'équipe mais que, face à la mort, on est toujours seul».
En fin d'après-midi, néanmoins, la vieille ville est sécurisée. Et le lendemain, le samedi, les objectifs sont atteints. Kolwezi la nouvelle est libre.
La porte vole en éclats. Sabljic et ses hommes ratissent le périmètre. Nous en sommes au troisième jour. Ils en ont vu les légionnaires, des belles demeures, au mobilier raffiné, des pelouses si bien tondues qu'elles pourraient rivaliser avec des gazons anglais. Ils ont pénétré dans le salon et l'odeur leur saute à la gorge et leur pique les yeux. Une femme est assise sur le canapé. Hébétée, elle tient un bébé dans ses bras. Les militaires ont un mal fou à le lui enlever. En réalité, l'enfant est mort depuis trois jours. Mais la mère s'y accroche. «Elle était jeune, pourtant elle avait les cheveux tout gris», raconte Sabljic. «Le toubib a dit que c'était le choc. Je suis sûr qu'elle a fini à l'asile», souffle-t-il, toujours désemparé trente ans après.
Justement, trente ans après, que reste-t-il de Kolwezi ? Que reste-t-il de cet exploit militaire ? Un cas d'école, une opération moderne comme jamais auparavant. Une action humanitaire qui sauva plus de deux mille Européens.
«Il y a eu l'effet de surprise, souligne le général Puga, parce que les rebelles s'attendaient à ce qu'on arrive par le sud et on a sauté au nord. La prise de risque a été assumée aussi bien au niveau politique qu'au niveau opérationnel».
Et il fallait être gonflé pour choisir de larguer ses hommes, au plus près de la ville. Et s'isoler de facto de l'aéroport qui aurait pu représenter une porte de sortie salutaire. Cela signifiait : vaincre ou périr. D'autant que le rapport de force était pour le moins disproportionné : un légionnaire contre dix rebelles, le premier jour, un contre sept par la suite. Il n'y avait pas eu de saut opérationnel depuis 1956 et 1961. «On peut dire qu'avec Kolwezi, on a senti qu'il y avait un avant et qu'il y aurait un après», conclut le général Benoît Puga.
KAREN LAJON.


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