Que peut Sassou?
  • ven, 12/01/2018 - 02:32

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Au fond, quel Congo peut aider quel Congo?
Alors qu’à Kinshasa, Laurent Monsengwo Pasinya met le feu aux poudres et monte la pression, usant de l’appui d’un Comité Laïc de Coordination inconnu à ce jour, qui a appelé à une marche le 31 décembre 2017, deux de ses collègues, archevêques de Kisangani et de Mbandaka-Bikoro, Marcel Utembi Tapa et Fridolin Ambongo Besungu, président et vice-président de la Conférence Episcopale Nationale Congolaise, ont résolu de passer le fleuve mardi 9 janvier 2018 en vue de rencontrer le président Denis Sassou Nguesso et de requérir son intervention dans le dossier congolais.
Selon le secrétaire et porte-parole de la CENCO, l’abbé Donatien Nshole, les évêques se sont entretenus avec le président brazza-congolais en sa double qualité de «voisin immédiat de la RDC» et de «chargé du suivi du mécanisme de paix et de sécurité» mis en place par la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs, CIRGL, dont le dernier sommet s’est réuni à Brazzaville, le 19 octobre dernier.

AVEC DES OPPOSANTS TENORS.
Au menu des échanges: la mise en œuvre de l’Accord du 31 décembre 2016 qui régit la transition et, en conséquence, la tenue des élections annoncées. Selon Nshole, «le pire» est à craindre au Congo.
Alors qu’à Kinshasa, le Cardinal est passé avec force à la vitesse supérieure en s’alliant publiquement avec des ténors de l’opposition radicale, reprenant le flambeau de l’opposition politique, appelant le pouvoir des «médiocres» et des «barbares» à «dégager», «maintenant qu’il est encore temps», promettant de ne guère baisser la pression quand le pouvoir met en garde contre toute «récidive», comment interpréter cette démarche de la CENCO, elle qui s’était relativement tue ces derniers mois? Notons que si l’action de ce Comité Laïc de Coordination visait au minimum à réactiver l’accord de la Saint-Sylvestre, en suggérant un nouveau round de négociations, les hommes à la manœuvre de cet accord, les archevêques de Kisangani et de Mbandaka-Bikoro, n’ont jamais rallié l’appel du CLC et c’est le moins que l’on puisse dire tout comme le reste de diocèses du pays.
Il aura fallu attendre jeudi 11 janvier 2018, soit près de deux semaines, pour que la CENCO se fende d’un communiqué contrasté. Le titre de ce texte - ceux qui l’ont mis en ligne ne se sont pas trompés - vole au secours du Cardinal, «dénonce toute tentative de division de l’Episcopat congolais orchestrée à des fins politiciennes». De poursuivre: «L’Episcopat congolais ne peut se diviser ni être dédoublé comme des partis politiques».

MONSENGWO EST FRAGILISE.
Le communiqué dénonce «une campagne d’intoxication, de désinformation voire de diffamation orchestrée même par des responsables des Institutions de la République contre l’Eglise catholique et sa hiérarchie. (…) Cette campagne de mépris vise particulièrement l’autorité de Son Eminence Laurent Cardinal Monsengwo, considéré à tort comme instigateur des actions visant à déstabiliser les Institutions en place et à vouloir s’emparer du pouvoir. Nous exigeons des preuves à ces graves accusations portées contre sa personne». Quand la CENCO exige des «preuves» de l’implication du Cardinal dans la marche insurrectionnelle, elle fragilise la position de l’archevêque de Kinshasa. Puis: «La CENCO désapprouve la diabolisation volontairement distillée à l’endroit de Son Eminence le Cardinal, Archevêque de Kinshasa et Membre du Conseil des neuf Cardinaux choisis par le Pape François pour le gouvernement de l’Eglise universelle. Elle lui réaffirme son soutien total et sa proximité». Alors que Marcel Utembi et Fridolin Ambongo avaient déclaré avoir achevé leur mission, passant la main au Président de la République afin qu’il finalise l’accord avec la classe politique, pourquoi ce déplacement à Brazzaville chez Sassou? Au fond, que peut Sassou? Loin, lui-même, d’avoir réglé ses problèmes du Pool avec le «pasteur Ntoumi» qui l’accuse d’illégitimité, Sassou peut aider à trouver une issue à la crise du Grand Congo.
Très proche du Cardinal avec qui il a, de longue date, des relations familiales, le président brazza-congolais peut, à tout moment, recevoir le prélat catholique, l’écouter et l’inviter à la retenue. Dans le cadre du mécanisme de paix et de sécurité de la CIRGL, il peut diplomatiquement et politiquement, peser de son poids dans la sous-région et au niveau de l’Union Africaine. S’il est choisi par des partenaires occidentaux comme c’est souvent le cas, en vue de passer des messages stricts, au pouvoir comme de l’opposition, ses chances de tirer le pays de l’impasse seraient décuplées. Après l’effacement politique du Sud-africain Jacob Zuma, le départ à la retraite de l’Angolais José Edouardo dos Santos, Sassou est la seule figure pouvant jouer un rôle au Congo.

LE PARADOXE DES DEUX RIVES.
Reste le paradoxe des deux rives: quel Congo peut aider quel Congo? Empêtré chacun dans des tendus débats démocratiques, Joseph Kabila Kabange, a laissé faire (partis politiques, médias, mouvements citoyens, église catholique, etc.) quand Sassou Nguesso, au contraire, fait montre de fermeté. Sur ce dossier, Kinshasa n’a pas à rougir quand à Brazzaville, l’affaire des «disparus du beach» - la disparition en mai 1999, quelques heures seulement après leur arrivée à Brazzaville, des dizaines de Brazza-Congolais revenus de l’exil de l’autre rive, après avoir fui la guerre civile qui conduisit au retour au pouvoir par Sassou - fait trembler. Avec la création d’un pôle «génocide et crimes contre l’humanité», des juges français sont à l’œuvre comme des Onusiens.
Puis, des démêlés judiciaires français liés à des biens mal acquis. A Paris, des proches de Sassou ont été mis en examen pour «blanchiment et détournement de fonds publics». Si, le débat politique est vif suite à la perspective électorale, il n’y a, à ce jour, rien d’équivalent à Kinshasa. Hormis ces sanctions financières qui frappent des proches du pouvoir…
T MATOTU.


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