Didier Reynders aux antipodes des opposants congolais
  • mar, 02/08/2016 - 02:01

Révisons constitutionnelles, sanctions, rythme des élections, etc., le chef de la diplomatie belge, retour de Kinshasa, est aux antipodes des anti-Kabila. Pourquoi au Congo parle-t-on au nom de la Belgique?

Extrait: «Un pays comme la Belgique, qui sort de sa sixième réforme de l’Etat, a essentiellement une demande, c’est que les pays respectent leur Constitution. Maintenant, on n’a jamais interdit à personne de changer une Constitution; on serait mal vu venant d’Europe, en raison de nos nombreux traités».
L’ancienne puiissance coloniale - avec elle l’Europe - paraît avoir une perception plus réaliste du débat politique en cours au Congo en rapport avec les couacs du processus électoral. Dans une interview au magazine Notre Afrik» (n°68 daté juillet-août 2016), son ministre des Affaires Didier Reynders reconnaît qu’aucun scrutin ne pourrait se tenir au mois de novembre 2016. «Le mois de novembre sera difficilement, c’est ce que tous les responsables politiques disent, pas seulement le président Kabila», précisant que ces responsables sont des membres du gouvernement» «et à peu près tous les représentants de l’opposition sur place», expliquant que la priorité est de «démarrer le processus» sans attendre.
Puis de préciser: «Ce sera difficile de tenir l’élection présidentielle en novembre, simplement parce que chacun souhaite que le fichier électoral soit revu. Il y a six à huit millions de nouveaux électeurs. Mon problème est surtout que l’on revoit cette liste et que l’on lance le processus électoral, et donc que la Commission électorale nationale indépendante (CENI) puisse convoquer les électeurs. S’il y avait un décalage de quelques mois par rapport à la date des élections initialement prévue, cela ne serait pas un problème tant que le calendrier est lancé» (...). J’attends donc que dans les prochaines semaines, il y ait une confirmation du lancement du processus».
Sur l’arret de la Cour constitutionnelle permettant au Président de la République de rester au pouvoir au-delà du 21 décembre 2016, l’avis du ministre belge: «L’article en cause de la Constitution, l’article 70, vise en fait une situation que l’on connaît par exemple aussi aux Etats-Unis. Quand il y a des élections, le président sortant reste en place jusqu’à l’installation de son successeur, mais cet article n’est évidemment pas prévu pour situation sans élection. Donc, ce que nous espérons, c’est que des élections seront réellement programmées que l’on pourra installer un président élu. Il ne s’agit pas de dire qu’un président peut rester en place pendant des années parce que l’on n’organise pas de scrutin».
A la question de savoir si «le glissement pourrait nous amener jusqu’en 2018», Didier Reynders reste prudent: «Je lis beaucoup d’observations et de commentaires. Mais ma préoccupation est de faire en sorte que l’on utilise tous les moyens à notre disposition pour que le processus électoral se déclenche, que la CENI travaille concrètement à la révision du fichier électoral, ce qui est demandé par la majorité présidentielle comme par l’opposition. Je crois que la communauté internationale doit se concentrer sur cela: comment respecter les engagements constitutionnels qui ont été pris et comment aider à ce que ces engagements soient réellement mis en œuvre. Aider peut signifier un soutien logistique à l’organisation des élections et éventuellement un soutien financier. La Belgique a notamment prévu dans ses budgets d’aide au développement un soutien aux élections locales par exemple. On peut mobiliser ce soutien pour des élections qui, à mes yeux, doivent d’abord et avant tout être présidentielle et législatives, probablement aussi provinciales puisque c’est la seule façon de renouveler le Sénat. Si on peut faire les élections locales en même temps, tant mieux! Si elles sont décalées dans le temps, ce ne sera pas non plus dramatique. Elles n’ont encore jamais eu lieu au Congo».
Au sujet des sanctions, le ministre belge est clair: il met «simplement l’accent sur un point. Il est évident que dans cette période, tout responsable public a une attention particulière à accorder à cet espace public (ndlr, libertés publiques). C’est vrai de la part des membres d’un gouvernement, d’une majorité, c’est vrai de la part de l’opposition, il faut également éviter de recourir à la violence quand on est dans l’opposition. Mais c’est surtout vrai pour tous les responsables directs de la sécurité. Lors d’une rencontre avec le ministre de l’Intérieur et l’ensemble de ses services, j’ai attiré l’attention sur la responsabilité individuelle de tout un chacun. Je crois que rappeler ces principes ne constitue pas une menace, c’est simplement un fait. ne souhaite pas entrer dans une logique de menace. Je crois que chacun est conscient que lorsque l’on exerce des fonctions importantes, on assume une responsabilité et il faut éviter que cela entraîne un rétrécissement de l’espace public et n’entraîne des déviances, comme des arrestations arbitraires ou des situations qui empêcheraient des candidats de l’opposition de se présenter ou de participer correctement au débat politique» (...). J’ai aussi salué les évolutions positives. Je crois que, à Kinshasa notamment - et le gouverneur de Kinshasa n’y est pas étranger -, des manifestations ont pu se tenir sans qu’il n’y ait d’incidents violents importants et avec des forces de l’ordre qui ont pu maîtriser la situation sans commettre d’excès. Cela est aussi à saluer. La première responsabilité est toujours, dans tous les États, entre les mains des autorités. Ce sont celles-ci qui doivent d’abord éviter un recours excessif à la violence, mais l’on doit aussi lancer un appel à toute force d’opposition pour éviter la provocation et l’utilisation de la violence. J’essaie toujours de le faire de manière équilibrée. L’appel concerne tous les acteurs».
Puis: «Sanctionner ne veut pas dire grand-chose. Ce qu’il faut regarder à un moment donné, c’est si des faits sont avérés. Si c’est le cas, nous devons prendre nous aussi nos responsabilités. (…) Lorsque des dérapages interviennent, il y a d’autres mesures à prendre. On en a pris à l’égard du Burundi, mais on n’est pas dans la même situation. Au Burundi, il y a des violences tous les jours, il y a maintenant plus de 250.000 réfugiés, peut-être même près de 300.000 qui sont partis vers le Congo, le Rwanda et la Tanzanie. Je crois qu’il faut d’abord rester dans une logique de dialogue, essayer de faire en sorte que l’on pousse à la mise en place des outils nécessaires pour respecter les engagements constitutionnels. Ce n’est qu’en cas de dérapage que l’on peut imaginer d’autres formules. Il ne faut pas précipiter les choses, nous sommes encore dans une période où l’on peut tenter de forcer la mise en œuvre du processus électoral avec révision de fichier électoral». Puis d’expliquer qu’au Congo, on est loin du scénario burundais. «Je crois qu’on ne doit pas comparer les deux situations. Ce qu’il faut surtout, c’est se focaliser sur ce que l’on peut réellement organiser. Par ailleurs, il faut également se préoccuper de la situation économique, Il est évident que la chute des prix des produits pétroliers, mais aussi de toute une série d’autres matières premières, a des conséquences budgétaires lourdes. On voit bien qu’il y a des difficultés majeures, qui se traduisent par des situations très compliquées à l’intérieur du pays en termes d’emplois, de perspectives de développement et notamment pour beaucoup de jeunes. (…) Vu d’Europe, on a des préoccupations souvent tournées vers la sécurité, l’afflux migratoire, mais il faut bien se rendre compté que la baisse des prix pétroliers, dont nous bénéficions, pose problème à de très nombreux pays à travers le monde, et particulièrement en Afrique. Notamment dans la région des Grands lacs. Cela peut voir un impact très lourd sur le budget de l’État et sur la vie économique et sociale dans le pays, et cela peut provoquer des tensions sociales fortes à plusieurs endroits à travers la région».
Didier Reynders estime qu’en période électorale, il y a toujours de tensions et que cela ne doit pas surprendre. «On sait très bien que dans ces périodes, il y a des tensions et des risques de turbulences surtout dans des pays qui n’ont pas encore installé de manière définitive la logique de transition démocratique, d’élections démocratiques qui peuvent provoquer ou non des alternances. Je tiens d’ailleurs à préciser que beaucoup de personnes confondent souvent système démocratique et alternance. On demande toujours que des élections aient lieu dans des conditions prévues par les Constitutions, mais cela ne veut pas dire que l’on doit nécessairement observer une opposition gagner les élections. Comme si l’opposition devait automatiquement prendre la place de la majorité… Je l’ai beaucoup entendu au Congo. Mais lorsque l’on parle de l’Afrique centrale ou de l’Afrique des Grands lacs, ce que nous essayons de faire du point de vue belge, c’est d’avoir une analyse commune de la situation avec nos partenaires européens. Et la démarche est de voir comment l’Union européenne peut adopter une position proche en négociation, en partenariat avec l’Union africaine. Je constate que dans la plupart des dossiers récents concernant des pays, en particulier d’Afrique centrale, nous avons réussi à émettre un message fort proche de l’Union européenne, de l’Union africaine. Mais il faut aussi que les pays de la région concernée jouent leur rôle, l’Union européenne n’a pas de leçon à donner, l’Europe a connu des drames bien pires que l’on vit à travers le monde, notamment au cours du siècle passé. Mais ce qui a fait que l’Union européenne est devenue une zone de démocratie, de paix..., même si l’on connaît pas mal de problèmes, c’est l’intégration régionale. On a trouvé des modes de réconciliation nationale et puis de réconciliation entre pays». Puis, «l’espoir c’est de faire en sorte que des pays se parlent et donc que des ensembles sous-régionaux puissent vraiment fonctionner. C’est l’enjeu majeur si l’on veut garantir une stabilité dans la région. Un pays comme la Belgique, qui sort de sa sixième réforme de l’Etat, a essentiellement une demande, c’est que les pays respectent leur Constitution. Maintenant, on n’a jamais interdit à personne de changer une Constitution; on serait mal vu venant d’Europe, en raison de nos nombreux traités».


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