Une Américaine tacle de dangereux romans de presse sur la R-dC
  • ven, 30/03/2012 - 08:00

LE SOFT INTERNATIONAL N° 1158 DATÉ 28 MARS 2012
Maître de conférences à la prestigieuse Université américaine de Columbia et spécialiste de la R-dC, l’Américaine Séverine Autesserre vient de publier un article en anglais «Dangerous tales of the Congo» («Les dangereux récits sur le Congo») qui tacle journalistes et ONG. Dimanche 25 mars, elle était l’invitée de Rfi. Interviewée par Sonia Rolley, elle tord le cou - une fois n’est pas coutume – à ces romans qui pullulent sur la R-dC et constituent des fonds de commerce pour journalistes pressés, narrateurs d’histoires émotionnelles, petits producteurs de documentaires ou... ONG nationales et internationales à la recherche de fonds. Paradoxalement, le Congo se vend donc bien! Ahurissant que les dirigeants du pays n’aient pas trouvé à ce jour la réplique, eux qui continuent d’être tournés en bourriques! Alors vous dites toujours «le Congo, capitale mondiale du viol»? Que dire de ces compatriotes qui mentent ainsi tant sur leur pays? Ci-après.

Vous êtes maître des conférences à la prestigieuse université de Colombia aux Etats-Unis, et attachée au département des sciences politiques. Vous vous intéressez aux situations des conflits et particulièrement à ce qui se passe en République démocratique du Congo; et vous venez de publier en anglais - c’est un petit dommage pour nos auditeurs francophones en tout cas - un article intitulé «Dangerous tales of the Congo» («Les dangereux récits sur la situation au Congo»). Des récits, pour vous, un peu simplistes portés par la communauté internationale, mais aussi par les acteurs sur le terrain, locaux comme étrangers, et qui donnent une vision distordue de la réalité. Vous allez nous expliquer tout cela. Parlons d’abord de l’exploitation de minerais. En quoi justement est l’arbre qui cache la forêt?
Pour moi, l’exploitation des minerais, c’est une de nombreuses causes de la violence. C’est une cause importante, mais c’est tout aussi important, par exemple, que les conflits fonciers. Les conflits autour de la terre, autour de savoir qui va avoir un petit lopin de terre ou qui va avoir une grande propriété. C’est extrêmement important au Congo parce que la terre, c’est vraiment le moyen de survie pour la plupart des gens qui habitent dans les communautés rurales. Et la terre, ça a aussi un aspect symbolique extrêmement important pour toute la population congolaise. En plus, des conflits liés à la terre, il y a aussi énormément des conflits politiques. Par exemple, par rapport qui va être chef du village, qui va être chef de l’administration, qui va être chef du district, qui va être chef de la province, qui va être chef traditionnel ou le chef plutôt moderne administratif…

Au-delà de accaparement de la rente?

Tout à fait. Ça va au-delà de l’accaparement de la rente. Ça va, par exemple, à simplement le statut social de la personne. Ça va par rapport à qui va pouvoir donner la terre quand on parle d’un chef traditionnel. Les chefs traditionnels sont par définition les gardiens de la terre, ceux qui peuvent autoriser l’exploitation de la terre par les communautés aux alentours. Et ça va aussi sur les sujets extrêmement politiques, tout à fait standards, comme quelle va être l’orientation politique de la commune, quelle va être l’orientation politique du pays. Donc, ces conflits politiques sont très importants. Il y a des conflits sociaux aussi. Enfin, il y a toute une sorte de conflits politiques, économiques, sociaux qu’on retrouve dans n’importe quel pays, en France, aux Etats-Unis, au Mali, au Congo et n’importe où. Et ces conflits économico-politiques, sociaux ne se résument pas uniquement à l’exploitation naturelle des ressources.

Et pourtant la réponse apportée par la communauté internationale se focalisant sur cet aspect-là va avoir tendance à mettre énormément d’efforts pour régler ce problème-là au détriment finalement des autres?
Effectivement, il y a beaucoup plus d’énergie, beaucoup plus de ressources qui sont apportées à essayer de régler le problème des ressources naturelles. Par exemple, les trois quarts des pays en général n’ont pas grand-chose à faire à ces questions. Il faut l’avouer du Congo. Mais quand on regarde des législations qui sont passées par les Etats-Unis, par l’Allemagne, par la France, par les Nations Unies, par la Banque mondiale, etc., beaucoup de ces pays et de ces institutions ont des législations pour empêcher l’exploitation illégale des ressources. Alors qu’ils n’ont pas absolument travaillé sur les problèmes de terre, par exemple, sur le problème de l’exploitation du charbon bois ou sur le problème des revenus qui sont obtenus par des barrages illégaux sur la route.

En ce qui concerne les violences faites aux femmes, elles existent et vous ne le niez pas. Mais cela éclipse d’autres violences, et notamment, par exemple, les violences sexuelles que subissent les hommes?
Oui, tout à fait. C’est un sujet qui est extrêmement méconnu parce que comme pour toute violence sexuelle, c’est peu rapporté, c’est peu documenté. Mais il y a, d’après les sources que j’ai, entre 4 à 10% des victimes des violences sexuelles faites aux hommes.

Et donc là aussi, on imagine que les réponses apportées sont inadéquates quand on ne prend pas en compte justement les violences faites aux hommes ou encore les autres types des violences non sexuelles!
Tout à fait. Par exemple, une femme qui est dans un village attaqué, subit des violences épouvantables. Elle se fait torturer, elle se fait mutiler, etc. Elle aura beaucoup plus de facilités à obtenir des soins si elle dit qu’elle a été victime des violences sexuelles que si elle dit la vérité, par exemple, qu’elle n’a pas été victime des violences sexuelles. Pour moi, c’est une discrimination contre les victimes des violences. Les victimes de n’importe quel type de violences devraient pouvoir avoir le même accès aux soins et on ne devrait pas privilégier une certaine catégorie des victimes par rapport à une autre.

La solution la plus souvent évoquée pour mettre fin à ces violences à l’Est de la République démocratique du Congo, c’est la restauration de l’autorité de l’Etat, qu’il faut donc que l’armée et l’administration se déploient en même temps, comme vous le soulignez dans votre article…
Il y a encore énormément des groupes armés qui contrôlent ces services et qui orientent l’action de ces services. Et ces services sont responsables dans beaucoup d’endroits d’énormément de violences de droits de l’homme.

Et qui, du coup, créent des problèmes locaux puisque chaque fois, par exemple, que l’armée d’une certaine tendance, comme l’on peut dire l’armée ex-CNDP ou les Maï-Maï dans l’armée, chaque fois qu’ils se déploient dans une zone, ils importent des problèmes avec leur déploiement!
Tout à fait. Ils vont essayer de prendre le contrôle de l’administration, de l’armée, de la police, des services de renseignement. Et pour ça, ils vont essayer de repousser ou d’éliminer ceux qui étaient là avant et qui sont parfois des gens d’un mouvement armé opposé. Donc, cela amène encore une fois à beaucoup d’intimidation et à énormément de violations des droits de l’homme sur les gens d’un mouvement armé opposé.

Pourquoi mettre ces faits en avant par rapport aux autres? Pourquoi finalement avoir ces récits simplistes qui ne permettent pas de régler la situation sur le front?
Il y a beaucoup de raisons et ça dépend en fait des acteurs. Par exemple, les journalistes ont très peu de temps pour faire passer une histoire, pour parler du Congo. Donc, il faut avoir quelque chose qui se résume en quelques minutes. C’est plus facile de se focaliser sur quelques idées qui sont faciles à faire passer, à comprendre. C’est le même problème un peu pour les ONG et organismes qui essaient de récolter des fonds. Pour eux aussi, c’est beaucoup plus simple de récolter des fonds, de mobiliser la population, s’ils peuvent se baser sur des récits qui sont simples à comprendre et qui touchent les gens sur le plan émotionnel.

Ce problème est lié à la levée des fonds pour financer ces organisations! Que ça soit les ONG et que ce soit aussi l’ONU qui a besoin d’être financée, il faut des messages simples, clairs?
Voilà! C’est un problème de communication et de récolte de fonds. Mais ce n’est pas uniquement ça parce que quand on pense aux pays donateurs, par exemple, la France, les Etats-Unis, etc., on retrouve encore une fois les mêmes dynamiques avec les gens très importants, les ministres, les conseillers des cabinets, ont peu de temps pour s’intéresser au Congo. La plupart ne sont pas du tout au courant de la question congolaise. Et donc c’est un conseiller en charge du dossier Congo qui peut briefer son ministre sur le dossier Congo, va avoir quelques minutes avec ses récits qui sont simplifiés. Et qui, à force de simplifier, il devient simpliste et dangereux.

C’est dangereux notamment parce que la réponse apportée n’est pas adéquate avec la situation. Et vous soulignez dans votre article que la violence depuis la transition en 2006 a augmenté en République démocratique du Congo?
Je ne sais pas si ça a augmenté mais je dis que la situation s’est détériorée. Je dis que les gens ont plus peur. On a fait faire des enquêtes de terrain pour demander à la population si elle se sent plus ou moins en sécurité que l’année d’avant. Et depuis 2006, chaque année, on voit que les gens ont plus peur que l’année d’avant. Plus peur pour leur sécurité physique et pour la sécurité physique de leurs proches. Et, aussi on peut regarder la position dans la liste de développement humain publié par le PNUD, on voit que le Congo a chuté de 20 places, de la 167è place à la 187è place. Dans le dernier indice du développement humain, c’est maintenant le pays le moins développé au monde. Et quand on est sur le terrain, on voit au moins une détérioration de la situation par rapport à 2006, où, pour moi, c’était l’année en tout cas où les choses allaient le mieux. Récemment, la situation à l’Est du Congo, dans le Nord-Kivu, m’a rappelé énormément ce qu’on voyait en 2004 et 2005, juste après le pic de la guerre.

Retranscrit par LE SOFT

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