Théophile Mbayo se veut critique de l’homme politique congolais
  • jeu, 06/04/2017 - 05:26

Pour régler nos crises, devrions-nous toujours procéder à des libérations de prisonniers?

Il a été depuis les années 90 de presque tous les cabinets ministériels et en a dirigé certains. Pendant cinq ans en charge de questions des Grands lacs, on l’a également vu dans toutes les délégations parties négocier à l’étranger la paix au Congo. Conseiller principal au Bureau du Président de la République en charge du Collège politique, Théophile Mbayo Kifuntwe livre dans une interview à la Rtnc sa lecture de questions politiques qui font débat aujourd’hui. S’il se montre très critique de la classe politique congolaise - qui a érigé des discussions oiseuses à n’en point finir plutôt que s’en tenir au respect de l’Etat de droit - il ne cache pas son optimisme. Grâce à la vision partagée de renouvellement de la classe politique congolaise lancée par Joseph Kabila Kabange par la politique de la nouvelle citoyenneté, notre Congo est bien parti. Du moins à en croire Théophile Mbayo Kifuntwe. Ci-après.

Depuis l’accession de notre pays à l’Indépendance, le Congo a connu plusieurs crises cycliques. Il y a eu plusieurs endroits dans le monde et en Afrique où la paix, la concorde ont été discutées. Je note que ceci a été le fait d’hommes politiques depuis 1960. Il fut un moment où Evariste Kimba Mutombo a dû remplacer Moïse Tshombe. Dans les années 90, un principe a été souvent entendu lors de ces discussions, à savoir, le premier ministre viendrait d’une famille
«autre que celle du Chef de l’Etat». L’opposition a dû donc prendre la gestion du pouvoir mais cela n’a pas mis le pays à l’abri de nos crises. En fait, depuis les années 60, le pays est entré dans des cycles interminables de discussions entre acteurs politiques au point où cela a dû interpeller la patience du peuple. Ces discussions ont porté plusieurs noms. Certaines étaient des conclaves ou dialogue ou concertation ou encore conférence. Notre pays a surpris le monde en organisant la conférence la plus longue de la planète. Elle s’est appelée Conférence Nationale Souveraine.
Toute la classe politique de ce pays y était mais elle n’en finissait pas de discuter au point où je pense que nous sommes entrés dans un cycle qui n’en finit pas; on tourne en rond. Pourquoi en sommes-nous encore là? Il y a eu pourtant Sun City… Je pense que la classe politique de notre pays a un problème. Pourquoi depuis les années 60, cette situation perdure-t-elle et le pays ne s’en sort pas? Est-ce la meilleure façon pour la République de gérer ses problèmes? Je pense que la classe politique dès le départ a refusé de s’inscrire dans la logique des principes modernes de gestion d’un pays, d’une République.
Si la classe politique congolaise avait accepté de se mettre sous le régime de la loi, depuis des décennies, nous serions sortis de ce cycle de discussions interminables. J’ai l’impression que de manière consciente ou inconsciente, la classe politique nationale pense qu’il est peut-être mieux de gérer ce pays à la manière de nos anciennes sociétés traditionnelles. Car en effet, nous sommes toujours en train de gérer notre pays avec nos prismes de l’arbre à palabre.
Il y a là un réel problème.
J’entends tous les temps les gens dire opposition, majorité, société civile, citoyens et tous répètent comme un refrain: Etat de droit… Quelle notion ont-ils de cet Etat de droit? Il me semble que la classe politique congolaise a su ériger le fait que dans une République, il n’y a que des droits. Malheureusement on n’insiste pas sur les devoirs. Ailleurs, c’est le respect du policier et du magistrat qui est le début de la discipline. Cette discipline individuelle et collective qui emmène un Etat à fonctionner de manière acceptable et à préserver les droits de tous. On a dit au peuple qu’il n’a que des droits (droit de manifester consacré par la Constitution, droit de s’associer, etc.). Insiste-t-on sur le fait que si le peuple a le droit de manifester, il n’a pas celui de casser des biens d’autrui, le privé et le public?

Allons-nous chaque fois nous convaincre de créer des situations qui nous ramènent à des discussions qui n’en finissent pas?
Quand on crie décrispation politique, en fait, on refuse ce que la justice a dite pour que des délinquants qui enfreignent la loi soient punis. Comment allons-nous fonder la République? Il y a des situations qui ne permettent pas que dès maintenant, notre pays fonctionne comme tous les autres pays du monde qui nous servent de boussole. Ceci est un problème. Un autre cas, même jour, j’ai vu un titre dans un journal de la place: «Pour la sortie de crise et la relance du dialogue initié par la CENCO, le Ministre des affaires étrangères tape du point sur la table».

Ce journal parlait du ministre belge?
Il parlait du ministre français et c’est très grave de la part de quelques compatriotes qui se convainquent de cela. Moi, je voie de temps en temps, des opérateurs politiques qui disent avec fierté: «J’ai dîné aujourd’hui avec un conseiller de telle ambassade». Je pense que nous devons nous ressaisir!
Comment allons-nous supporter le poids des exigences du développement si nous ne nous décidons pas de nous départir des comportements qui ne nous permettent pas de nous développer. Nous voulons une chose et son contraire.

A près de 57 ans après l’Indépendance, on va de négociations en négociations, de dialogues en dialogues… D’où ces dialogues tirent-ils leur légitimité?
Ces dialogues tirent leur légitimité de plusieurs sources. De l’extérieur et, là, les agendas ne sont pas ceux du Congo et chacun des acteurs dans ce cas a son agenda personnel. Avant le dialogue de la Cité de l’Union Africaine, il y a eu beaucoup de discussions parce qu’une partie de la classe politique estimait que les Congolais ne pouvaient pas tenir le dialogue entre eux pendant que le Président de la République a continué à dire que ce dialogue entre Congolais était possible et que les Congolais devraient pouvoir se rencontrer entre eux, discuter et trouver des conclusions à leurs problèmes. Ces Congolais là se sont imaginés qu’un dialogue n’aurait de légitimité que soutenu de l’extérieur et conduit par l’extérieur. Mais le dialogue de la Cité de l’Union Africaine a trouvé sa légitimité dans l’ordonnance du Président de la République, après de longues consultations. Ce dialogue s’est déroulé avec le soutien de la communauté internationale fortement représentée. Ce qui s’est passé à la CENCO n’est que la suite de ce dialogue de la Cité de l’UA. L’expression trouvée est concertations directes parce qu’il s’est agi d’une rencontre qui avait pour objectif de répondre à la question d’inclusivité.

Au regard de tout cela, voulez-vous parler de la refondation de la République?
Plus d’une fois, dans son itinérance, devant la jeunesse, devant le peuple, le Chef de l’Etat a fait état d’une grande vision, en parlant de renouvellement de la classe politique. Il me semble que le Chef, depuis un temps, a fait le décryptage de la situation, est arrivé à la conclusion qu’il nous faut renouveler la classe politique. Il ne s’agit pas du remplacement automatique par d’autres de ceux qui sont là. La jeunesse qui doit hériter de cette République doit s’impliquer dans la logique du processus électoral. Il faut que nous pensions à une politique de recrutement des intelligences et de placement des intelligences pour que nous puissions un jour avoir une République entre les mains d’expertise avérée. Il nous faut des hommes et des femmes qui ont une autre manière de penser le Congo.
Il y a urgence de mutation. Mutation des mentalités, de notre façon de faire et d’agir.

Avec l’avènement des mouvements citoyens et la pression
internationale, pensez-vous que cela facilite cette refondation?

Il ne s’agit pas de cela, je ne suis pas du tout d’accord avec ces jeunes qui se font instrumentaliser par certains milieux extérieurs pour poser des actes qui ne permettent pas réellement le développement de notre pays. Je plaide pour un pacte républicain dans lequel effectivement les acteurs politiques conviendraient d’abandonner des conceptions négatives, du genre que lorsqu’un homme politique a un problème avec la justice, que nécessairement c’est un problème politique, qu’il faut le libérer. Il faut nous départir de ce genre de pratiques. Nous avons besoin d’acteurs politiques qui s’inscrivent dans le développement de ce pays, dans la défense de la Patrie. Nous n’avons pas besoin de personnes qui penseraient qu’il faut à tout moment que ce soit d’une ambassade ou d’une puissance étrangère que proviendrait des orientations pour la gestion de notre pays.
Cela nous éloigne de la République…

Comment éviter le diktat de l’Occident?
Le Chef de l’Etat a déjà donné des pistes depuis longtemps. Est-ce que nous le comprenons? Est-ce que nous le saisissons? Le Chef, depuis longtemps, a lancé deux visions : le renouvellement de la classe politique et celle, de la nouvelle citoyenneté. Pour cela, il a institué ce dernier programme dans le Ministère des médias, puis celui de l’Enseignement Primaire et Secondaire et aujourd’hui à celui de la jeunesse. Voilà la thérapeutique. Il nous faut des vrais patriotes.
Interview réalisée par
ESTHER MPEZO.
Retranscrite par
YVES SODA.


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