Si entre Kigali et Paris, tout regèle, entre Kigali et Bruxelles, ça réchauffe fort, au contraire. Ici, Kagame et Verhosftadt, à Bruxelles, mi-mars dernier. PHOTO ARCHIVES DU SOFT.
Rwanda: Muselier promet des bosses et des plaies à Murigande qui s'en moque
  • ven, 09/04/2004 - 11:36

Kigali, 9 avril 2004, le Soft, afp.
Le ministre rwandais des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, Dr Charles Murigande, a, le 7 avril, joué le tout pour le tout pour tenter de reprendre langue avec les Français après l'incident diplomatique du stade d'Amahoro. Il a approché, personnellement, le secrétaire d’Etat français Renaud Muselier venu aux Commémorations du génocide, représenter la France. Il n’a eu que le temps de se faire promettre des plaies et des bosses du tout nouveau secrétaire d’Etat. «Ce que vous avez fait est inacceptable. Vous avez mélangé la commémoration et la polémique! On va régler ça en un autre lieu», tranche - textuel! - le secrétaire d’Etat français, tremblant de colère… Il a aussitôt écourté sa visite à Kigali et a repris l'avion pour Paris.

L’incident diplomatique du stade Amahoro intervenu quand le président Paul Kagame a accusé Paris de complicité dans le génocide de 1994, est une étape de plus dans la dégradation des relations entre Paris et Kigali. La France mise en difficultés par ses propres compatriotes (commission citoyenne d’enquête, divers livres dont «Nuit africaine» de Jean-Pierre Gouteau, «l’Inavouable» de Patrick de Saint Exupéry, etc.) a annoncé qu’elle «va examiner sur le fond la situation», a déclaré le 9 avril le tout nouveau ministre français des Affaires étrangères Michel Barnier, avant de préciser: «en raison de cette semaine de recueillement, je ne veux rien ajouter à ce stade». «Nous avons entendu ce qui a été dit et des accusations graves, contraires à la vérité ont été portées contre la France. Parce que nous pensons que cette semaine est une semaine de recueillement et donc de commémoration et non pas une semaine, ou des journées, de polémique, nous avons choisi de nous retirer dignement pour respecter ce moment de recueillement et de mémoire», a-t-il ajouté.
Pour Paris, «c’est dans cet esprit que nous avons demandé au secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères Renaud Muselier de représenter personnellement la France à Kigali, pour participer à cette commémoration». A la suite de ces accusations, Renaud Muselier a anticipé de quelques heures son retour en France, alors que sa délégation, dont son ambassadeur à Kigali, François Ponge, quittait, en fulminant, le stade sans attendre la sortie des chefs d’Etat.
L’accusation a été formulée en pleine cérémonie des Commémorations du génocide, au grand stade Amahoro de Kigali, en présence de plusieurs délégations étrangères, dont celle du premier ministre belge Guy Verhosftadt, à la tête d’une forte délégation.
Le Quai d’Orsay a précisé que la France «avait été invitée» à Kigali. «Nous sommes plus civilisés qu’eux. Une invitation reste une invitation, nous ne la retirons pas», avait répondu Paul Kagame à son retour à Kigali au lendemain de «l’affaire Bruguière», du nom du juge français («le Soft» n°784, daté 30 mars 2004). Le rapport d’enquête de ce juge publié mi-mars dans le journal français «le Monde» accusant le président rwandais d’être le «principal décisionnaire» dans l’attentat du 6 avril 1994, qui a coûté la vie au président hutu Juvénal Habyarimana et déclenché le génocide, avait été à la base d’une nouvelle dégradation des relations entre Paris et Kigali.

KIGALI POSITIVISE.
«On espère bien qu’ils vont étudier le fond du dossier. On espère bien qu’ils vont dire la vérité sur le rôle des militaires et officiers français au Rwanda et nous espérons que la France ne va plus nier son rôle dans le génocide au Rwanda», a répliqué le Dr. Richard Sezibera, envoyé spécial du président Paul Kagame pour la région des Grands Lacs. Au stade, dans son discours officiel à la principale cérémonie de commémoration du génocide, le président Kagame a accusé les Français d’avoir «l’audace de rester là sans s’excuser», tournant son regard vers les gradins où était assis le secrétaire d’Etat français alors que, ajoutait Kagame visiblement excédé, «ils ont sciemment entraîné et armé les troupes gouvernementales et les milices qui allaient commettre un génocide, et ils savaient qu’elles allaient commettre un génocide». Des accusations toujours rejetées par la France.
La question de l’absence de demande de pardon de la part de la France, contrairement à la Belgique qui a de nouveau fait son mea culpa à Kigali, a toujours envenimé les relations entre les deux pays.
Dès les premières attaques menées depuis l’Ouganda par le FPR en 1990, Paul Kagame et Paris se sont retrouvés dans des camps ennemis, la France soutenant l’armée rwandaise du président hutu Juvénal Habyarimana. Une coopération militaire dont s’est expliqué le 8 avril sur la radio publique Rfi l’ancien ministre socialiste des Affaires étrangères, Hubert Védrine, qui était secrétaire général de la présidence de la République, de 1991 à 1995, soit à l’époque du génocide,.
Selon Védrine, en échange d’une «coopération militaire pour que l’armée rwandaise soit capable de se défendre à sa frontière, et résister à l’agression de l’Ouganda», le président français François Mitterrand, «voulait obliger les Hutus majoritaires à partager le pouvoir avec ceux des Tutsis qui accepteraient. C’était la politique irréaliste dite des accords d’Arusha». Védrine est revenu sur les préparatifs du génocide: «Naturellement, tout le monde savait. C’est précisément parce que tout le monde savait qu’il y avait une énorme perspective de massacres que la France, seule au monde, alors que les autres pays s’en fichaient complètement, a essayé d’enrayer cet engrenage diabolique». Il a reconnu que le but de la politique française, qui «avait précisément pour objectif d’enrayer le retour des massacres, a clairement, hélas, échoué».
L’incident du stade a failli «dégénérer» au camp Kigali entre le ministre rwandais des Affaires étrangères, le Dr. Charles Murigande et Renaud Muselier. Tout a commencé le matin du 7 avril au camp Gisozi. Ayant aperçu un journaliste l’interpeller «Monsieur Muselier, pouvez-vous nous accorder une interview», Murigande a approché un diplomate de la mission française à Kigali lui disant qu’il souhaitait rencontrer le secrétaire d’Etat dans la journée. Le message a dû être clairement transmis sans que le ministre n’ait reçu de réponse. Après le «Monsieur, je vous regarde en face» de Paul Kagame, c’est le tour du camp Kigali où le chef du gouvernement belge honorait la mémoire de ses compatriotes tombés sous les balles des extrémistes hutus. Murigande approche un diplomate français et renouvelle sa demande de rencontrer le secrétaire d’Etat, «après la cérémonie». «Vous rêvez? Vous pensez qu’il peut vous voir? Il est fou furieux…», répond le diplomate.
Pas découragé, le Rwandais poursuit son tour de cérémonie, rencontre un autre diplomate français, lui fait part de sa volonté. Même réponse: «Je ne pense pas qu’il puisse accepter votre proposition. Il est très excité…»
DES BOSSES ET DES PLAIES
Le ministre décide alors de jouer le tout pour le tout et d’aller au-devant du secrétaire d’Etat et de lui faire la proposition de rencontre. Réponse cinglante du Français: «C’est pas possible! Ce que vous avez fait est inacceptable. Vous avez mélangé la commémoration et la polémique!», tranche le secrétaire d’Etat, tremblant de colère…
Murigande tente de le calmer et de le raisonner. Peine perdue. «On va régler ça en un autre lieu… », l’interrompt le Français.
Les Rwandais apprendront plus tard que Muselier a repris l’avion pour Paris, sans dire au revoir à personne… Avec l’humour qu’il affectionne, Murigande a ce commentaire: «Beaucoup ont quitté Kigali sans dire au revoir à personne. Quand l’heure du départ approchait, ils se rendaient directement à l’aéroport…» Un officiel rwandais s'est interrogé le 9 avril: «Ils vont régler quoi et où? Au Fonds monétaire international? A l'Union Européenne? La France, à ce train, risque d'être l'éléphant qu'une mouche a pénétré dans la trompe...Il va se débattre longtemps...» Signe que tout va très mal entre les deux pays: l'ambassadeur rwandais à Paris Jacques Bihozagara a été convoqué dès le lendemain au Quai d'Orsay, et reçu par un fonctionnaire, le directeur Afrique... Kigali avait pourtant tout investi pour se rapprocher de Paris. Après avoir rouvert l’ambassade, Kagame a, pour la toute première fois, fait le déplacement de Paris au dernier sommet franco-africain, en pleine campagne d’Irak. Et, là, un incident a fait tout basculer. «Les Français et, le président Chirac en premier, n’ont pas compris la réaction du président Kagame, qui s’est désolidarisé du communiqué final sur l’Irak, estimant, en réponse à une question d’un journaliste canadien, lors d’une conférence de presse en pleine Paris, que le texte du communiqué n’avait pas été discuté en plénière ou, s’il l’avait été, cela l’a certainement été en son absence». Et d’ajouter: «Paris a été jusqu’ici habituée à des chefs d’Etat bénis oui-oui… Mais il est temps que les Français commencent à comprendre que l’Afrique a commencé à changer…»

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