Réponse au PM Muzitu
  • lun, 27/04/2015 - 03:24

Dans une analyse, Adophe Muzitu, l’ancien Premier Ministre de Joseph Kabila affirme que la République Démocratique du Congo n’a pas de province. Dans une autre, sur le même ton, il conclut que la RDC n’a pas de budget. Inacceptable, explique Jean-Pierre Kambila Kankwende wa Mpunga,
Communicant de la Majorité Présidentielle

Le débat politique congolais est monté d’un cran ces dernières semaines. Il est sorti de ses confrontations habituellement de bas étage dans lesquelles certains de ses acteurs l’avaient cantonné jusqu’ici. En effet, dans une série de tribunes publiées par des journaux locaux, Adolphe Muzito s’exprime sur les sujets actuellement à l’ordre du jour de la problématique congolaise. Précisons qu’Adolphe Muzito n’est pas un citoyen congolais moyen. Il s’agit d’un universitaire, économiste, ancien Inspecteur des Finances, ancien Ministre du Budget, ancien Premier Ministre et actuellement Député à l’Assemblée Nationale. De son passage à la Primature, l’Hon. Muzito a laissé le souvenir d’un homme d’Etat, efficace, mais humble, soucieux, non pas de se mettre personnellement en avant, mais de donner de la valeur au travail de son équipe.
De plus, il convient de mettre le doigt sur le fait que, sur le plan des idéologies politiques, l’homme se déclare de gauche.
Il s’est montré récemment, au cours d’une série de conférences organisées par son parti PALU, pétri de valeurs de progrès. Personne ne conteste son attachement à la culture philosophique d’obédience marxisante. Débattre avec une telle personnalité ne saurait donc se limiter à une banale dispute.
Il convient donc de remercier cet homme de culture et d’expérience, d’avoir sorti le débat politique congolais des caniveaux dans lesquels il traînait depuis fort longtemps. Enfin, nous pouvons échanger et nous opposer si nécessaire sur un autre registre que celui des invectives, des procès d’intention et des prétendues expertises difficilement démontrables. Les qualités reconnues au Premier Ministre ne devraient pas nous empêcher d’exercer l’esprit critique que nous impose notre devoir de citoyen relativement instruit. Les thèses reçues comme des vérités définitives méritent débat; les propositions savamment exposées demandent un enrichissement, ceci sans véhémence ni complaisance, c’est là, la condition de notre progrès à tous.
De quoi s’agit-il ?
Le Premier Ministre a publié, en l’espace de moins de deux mois, trois tribunes importantes à travers certains journaux de la Capitale.
Dans la première, l’ancien Premier Ministre de Joseph Kabila affirme que la République Démocratique du Congo n’a pas de province (sic). Dans une autre, sur le même ton, il conclut que la RDC n’a pas de budget. Et voilà qu’en ce milieu du mois d’avril 2015, Adolphe Muzito affirme (avons-nous bien lu?) que la mise en place des provinces prévues par l’article 2 de la Constitution et les élections y afférentes risqueraient de conduire l’Etat congolais à la faillite. A moins que…

INTERROGATIONS.
On pourrait lancer tout un débat sur la notion de la faillite appliquée à l’Etat mais là n’est pas le problème d’aujourd’hui. On pourrait également disserter sur l’existence ou non des provinces ou d’un budget national dans notre pays. Le moment n’est pas à la discussion sur ces sujets. Ici, l’intérêt porte exclusivement sur la tribune consacrée à la mise en application de l’article 2 de la Constitution. La première surprise qu’impose la lecture de la trilogie de l’ancien locataire de l’avenue Lukusa, c’est la totale absence de référence aux valeurs de gauche. Le caractère purement technocratique des textes publiés est saisissant. En effet, on n’y trouve aucune audace politique. Est-ce à dire que la problématique de la décentralisation ne saurait s’analyser à travers une grille des valeurs progressistes?
On peut se dispenser d’entrer dans les chiffres présentés par le Premier Ministre, puisqu’ils ressortent des documents officiels.
De plus, la formation scientifique de l’auteur et la carrière qui a été la sienne convainquent chacun que les valeurs présentées ne sortent pas d’une quelconque imagination fertile, elles reflètent la vérité, mais la vérité comptable. Très humblement, je prétends que la vérité comptable ne correspond pas forcement à la vérité financière. Et comme la vérité financière, elle-même, ne saurait tout ordonner, comment alors construire une politique porteuse d’espoir au départ d’une vérité aussi étriquée?
Il faut souligner que la politique ne peut se passer durablement des contraintes comptables, mais le raisonnement politique ne saurait s’enfermer dans les limites restreintes d’une certaine science financière. Le financier ambitieux ne fonde pas son avenir sur ce qu’il a en poche; il construit son futur sur sa détermination à utiliser rationnellement son disponible comme potentiel à fructifier.
Pour l’histoire, il faut rappeler qu’en République Démocratique du Congo, la décentralisation est rentrée dans sa première phase dans la période de Gouvernance du Premier Ministre Adolphe Muzito «Mfumu Mpa» (le nouveau Chef). C’est sous sa coordination que furent initiées les premières missions d’études des limites des localités, territoires, villes et provinces à décentraliser. Le 25 août 2010, le Premier Ministre publia une brochure intitulée: «Installation de nouvelles provinces, défis et contraintes».
La décentralisation aura un coup important, c’est là une évidence. Précisons qu’il est nécessaire de distinguer d’une part les dépenses d’investissement et d’autre part, les dépenses de fonctionnement et de rémunération du personnel politique. Le Premier Ministre établit cette distinction. Et jusque-là, les progressistes suivront. Nous divergeons quand il s’interroge de la même manière quant à ce qu’il faut faire pour financer les dépenses relatives à ces deux catégories qu’il a lui-même si bien établies.

S’ASSUMER.
Commençons par la question des investissements relatifs aux infrastructures absolument nécessaires au fonctionnement d’une province. Ainsi que Muzito l’écrivait lui-même le 25 août 2010, 11 de nos 26 provinces sont actuellement équipées pour rendre les services qu’elles doivent à la population. Il reste donc 15 provinces à pourvoir. Toujours selon les chiffres de l’ancien Premier Ministre, il faut environ 1,5 milliard de FC par province pour construire les quatre bâtiments administratifs indispensables à une gestion acceptable.
A ce chiffrage, il faut ajouter 1.566.000.000 FC pour les équipements de bureau et 16.209.000.000 FC pour les véhicules. C’est dire que ce que le Gouvernement Central devrait absolument sortir prochainement est d’environ 40.275.000.000 FC pour les bâtiments et 1.566.000.000 FC pour les équipements et encore 16.209.000.000 FC pour les charrois automobiles, soit un total de 40.275.000.000 FC, ce qui correspond à environ 44.000.000 US$. Qui peut croire que la RDC est incapable d’apprêter USD 44 millions pour respecter une disposition constitutionnelle? Quid des dépenses liées au fonctionnement et à la rémunération des animateurs?
Puisque la thèse défendue ici est que chacun devrait assumer ses responsabilités, il ne s’impose pas d’entrer dans un chiffrage qui se situe hors du propos. Cependant, il reste vrai, ainsi que le faisait déjà remarquer l’Hon. Muzito dans sa publication du 25 août 2010 (text. cit.) qu’il y a des provinces absolument incapables aujourd’hui de soutenir le minimum nécessaire à l’entretien d’une équipe gouvernementale provinciale. En dehors de l’obligation de solidarité nationale que nous devons assumer au-delà de la responsabilité de chacun, il faut reconnaître que cette vérité-là n’est vérité que pour deux raisons. La première est que nous voulons vivre au-dessus de nos moyens. La seconde est que nous limitons notre perspective à un terme court, refusant ainsi de nous imposer des sacrifices qui nous amèneraient à sortir de cet état.
Si le pouvoir central doit préparer, jusqu’à un certain point, l’installation des nouvelles provinces, les futures bénéficiaires de ce régionalisme politique voulu ne peuvent pas être mis en condition d’attendre que le coût de la gestion quotidienne de leurs entités provinciales ou autre incombe encore au Gouvernement Central. C’est une question de responsabilité.
Le Premier Ministre, détenteur d’une culture progressiste avérée ne me démentirait pas si je lui rappelle que la politique relève d’abord de la volonté et de la capacité de conduire un peuple à réaliser ce qu’il a défini lui-même, non pas seulement comme un idéal abstrait mais comme ses véritables objectifs de progrès. Celui qui veut quelque chose doit en payer le prix! Penser autrement relève de l’irresponsabilité. Or, l’irresponsabilité ne saurait être de gauche.
Qu’ont voulu les Congolais réunis à Sun City en se mettant d’accord sur le régionalisme politique? Que voulait le Législateur constitutionnel en proposant au peuple congolais des articles précis sur la décentralisation? Pour l’histoire, rappelons que l’Hon. Député avait personnellement pris une part active tant à Sun City que lors du débat sur le texte constitutionnel.
Déçus d’une gouvernance de plus de trente ans d’une dictature extrêmement centralisatrice, les Congolais ont voulu une organisation qui place les gouvernants proches des gouvernés et de leurs réalités. Pensaient-ils qu’il soit possible d’opérer une telle mutation politique sans des coûts de divers ordres? La sagesse populaire nous apprend qu’«on ne peut pas cueillir des roses sans affronter les épines».
Le leader politique doit savoir sortir de sentiers battus. Il doit être capable de bousculer les réalités. Ce n’est pas en améliorant la bougie que l’on a créé l’électricité. Au militant marxiste du PALU, d’il y a quelques années, il faut rappeler que si Lénine avait attendu que les contradictions du capitalisme s’exacerbent par elles-mêmes pour que vienne la Révolution d’octobre 1917, celle-ci ne se serait jamais produite et les progrès sociaux que cette dernière a induits au sein du système capitaliste lui-même, ne se seraient pas concrétisés. De plus, le matérialisme philosophique, base du socialisme, auquel adhère l’Hon. Muzito attribue une place importante à la volonté et à la détermination des hommes pour changer les choses. N’affirme-t-on pas dans la culture marxiste, partagée par l’ancien Premier Ministre, que ce sont les masses qui font l’histoire. Ici on parle d’hommes, pas du rôle de la finance.

MERCENAIRE.
Le raisonnement présenté par l’ancien Premier Ministre dans cet article semble assis sur un binôme axiomatique qui, jusqu’ici, plombe culturellement le développement de notre pays. Trop d’intellectuels de chez nous par leurs pensées et leurs agissements démontrent, à tort, que:
◗a. Pour bien servir son pays, il faut d’abord être bien payé.
◗b. L’argent de l’Etat n’appartient à personne, nous pouvons donc le partager sans égard.
Il y a là, une «mentalité de mercenaire» que nous devons quitter de toute urgence.
Partant de cette «antivaleur», on ne critique pas les émoluments disproportionnés que la classe politique s’attribue, on pense faire avancer la République en généralisant jusqu’à un certain niveau ce partage suicidaire.
Enfermés dans cet axiome, nous ne nous posons plus la question de la volonté et par conséquent des sacrifices qu’il faut endurer pour sortir le pays du sous-développement et l’amener à l’émergence. Voilà ce qui, inconsciemment, pousse certains parmi nous à penser que la condition pour amener une entité provinciale à assumer son avenir et à prendre ses propres responsabilités dépend d’abord de l’argent disponible à distribuer. Il va sans dire qu’il faut distinguer parfaitement les investissements nécessaires à l’installation des infrastructures indispensables, des privilèges qu’il faudrait réserver aux uns et aux autres. Lorsque la situation l’impose, et c’est le cas pour notre pays, le leader politique doit avoir la lucidité, le courage et la capacité de convaincre son élite et respectivement son peuple à accepter les sacrifices nécessaires à la quête de ses objectifs. Pourquoi l’ancien Premier Ministre pense qu’il est essentiel de payer les membres des Assemblées Locales?
Sous Mao Zedong et jusqu’à très récemment, les membres des Assemblées Locales de la Chine Populaire ne recevaient aucune indemnité. Il a fallu attendre que le pays se développe pour penser à leur rembourser les frais. Aujourd’hui encore, tout en étant un des pays les plus riches du monde, les membres des Assemblées Locales de la République Helvétique (Suisse) y sont comme miliciens. Ils travaillent pour leurs localités. Comment comprendre que l’on suggère de bloquer, une fois de plus, la décentralisation sous prétexte qu’il n’y aura pas de moyens suffisants pour payer gracieusement la gouvernance locale? L’option progressiste face à ce problème est de demander à chacun de faire un effort pour son entité. Il y a de nombreux exemples à travers le monde. Les Congolais peuvent aussi s’inspirer de ceux qui aiment véritablement leur pays. Aimer c’est s’engager; aimer c’est souffrir. Nous devons abandonner la «mentalité mercenaire».
Que le ton quelque peu sévère de cette critique ne trompe personne. L’histoire retiendra du Premier Ministre Muzito l’image d’un homme qui a apporté, certes parmi d’autres, la stabilité à la monnaie nationale. Les entreprises qui boostent aujourd’hui notre secteur minier, moteur de la croissance actuelle, sont pour la plupart entrées en RDC alors que M. Muzito mettait en œuvre la politique de Joseph Kabila Kabange. Il convient de rappeler aussi que c’est son Gouvernement qui avait obtenu pour la République la suppression de l’endettement qui plombait le développement de notre pays. Il est également bon de se souvenir que malgré les difficultés de la trésorerie nationale, Muzito, l’homme de gauche, alors Premier Ministre, avait amélioré quelque peu le traitement réservé aux fonctionnaires. Examiner sous l’angle de la volonté politique à côté des paramètres financiers, la problématique de la décentralisation aboutira, si nous nous mettons réellement au travail, à faire de la RDC un pays où le lait et le miel couleront en abondance pour tous ses fils et ses filles.
J. PIERRE KAMBILA K.


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