L’histoire politique nationale est jalonnée de rencontres et de dialogues
  • lun, 28/03/2016 - 15:49

Ci-après d’autres aspects de la question abordés par le journaliste Jacques Mukaleng Makal lors de ce long entretien avec Me Norbert Nkulu Kilombo Mitumba.

Si l’on plongeait dans la nuit des temps pour que les Congolais comprennent cette réalité liée au Dialogue…
Le dialogue est en effet un sujet important. Un sujet d’actualité qui préoccupe les Congolais. Dans notre pays, le dialogue a connu plusieurs formes. Le Dialogue marque profondément l’histoire de notre pays. Voilà pourquoi le dialogue - terme générique - reçoit chaque fois une dénomination précise.
Le Chef de l’Etat, Président de la République, à la suite de son message à la Nation a estimé bon de convoquer le Dialogue. Ce dialogue est dénommé «Dialogue national, politique et inclusif».

National, Politique et Inclusif. Pourquoi cette trilogie?
Expliquons d’abord le Dialogue «national». Les questions qui vont être traitées au cours de ce dialogue concernent la Nation entière. Il est donc utile que les représentants de la Nation, dans sa diversité, prennent part à ce Dialogue. De là l’invitation adressée à la Société civile.
Le thème principal de ce forum, c’est le processus électoral avec toutes les questions qu’il pose. Processus électoral est un thème fondamentalement politique. Il faut donc que les acteurs politiques viennent à ce Dialogue. Voilà pourquoi ce Dialogue est «politique» en raison de son objet mais aussi en raison des acteurs, les participants qui sont des politiques.
Dialogue «inclusif». Cela signifie qu’aucune composante du Congo n’est écartée de ce Dialogue. Le Chef de l’Etat a visé la Nation dans toute sa composante, politique, sociologique, culturelle afin qu’elle prenne part à ce Dialogue.
Permettez-moi de dire que ceux qui ont appris le latin savent que le mot «inclusif», signifie «dans»; il s’oppose au mot «exclusif» qui signifie dehors. Donc le Président de la République voudrait que toutes les composantes de la Nation prennent part à ce Dialogue, de manière que ce Dialogue soit crédible. Que les enfants du pays puissent discuter des sujets qui les concernent autour du processus électoral et autour d’une table. Vous avez parlé d’un plongeon dans l’Histoire. Ce plongeon est vrai et j’ai dit que le Dialogue peut prendre plusieurs formes.

La table ronde de 1960 est donc une forme de dialogue...
Absolument car il y avait d’une part les Congolais et d’autre part, les Belges, colonisateurs, pour discuter de l’avenir du pays. En fait, le dialogue marque profondément notre histoire. Savez-vous que l’Etat congolais dans sa configuration actuelle est née précisément du dialogue ayant réuni les puissances occidentales de l’époque. La Conférence de Berlin était une forme de dialogue entre puissances occidentales et à l’occasion de ce dialogue est né l’EIC, Etat Indépendant du Congo avec comme souverain, le roi Léopold II. De la Conférence de Berlin nous pouvons retenir ce qui est affirmé par toute l’Afrique, le principe de l’intangibilité des frontières. Ce principe hérité de la colonisation est une confirmation de ce qui a été fait à Berlin.
Effectivement, l’Etat Indépendant du Congo est né et est devenu la colonie belge. A partir de 1955, les revendications à l’indépendance commencent à s’exprimer et les Belges, en accord avec les Congolais, décident d’organiser la table ronde de Bruxelles en 1960. C’est de cette forme de dialogue qu’est né le dialogue et c’est à la table ronde de Bruxelles que la date de l’indépendance de notre pays a été arrêtée. La loi fondamentale de cet Etat qui allait naître a été prise par les Belges en tenant compte des recommandations de la table ronde. Cette loi fondamentale installait pour trois ans au minimum, quatre ans au maximum, les institutions du pays. Aussitôt les festivités de l’indépendance terminées, le pays s’est plongé dans la crise. Comment le pays s’est-il plongé dans la crise? Quatre jours après les festivités, il y a eu une mutinerie de la Force publique, suivie de scènes de pillages dans les villes de la République naissante. Et, sécession du Katanga le 11 juillet, sécession du Kasaï le 9 août. Le 5 septembre, révocation de Lumumba et certains de ses ministres. Le pays avait basculé dans la crise une semaine après environ les festivités de l’Indépendance.

Comment cette crise a-t-elle été résolue?
Par précisément des appels au dialogue invitant tous les acteurs politiques à se retrouver autour d’une table. C’est dire que le dialogue marque la vie politique de notre pays. Non seulement à la naissance de la colonie - l’Etat Indépendant du Congo - mais aussitôt après l’Indépendance - à la naissance de la République Démocratique du Congo. Au mois de janvier 1961, le Président Joseph Kasavubu tente d’organiser un dialogue appelé table ronde de Léopoldville.

Pourquoi table ronde de Léopoldville?
A l’exemple de la table ronde de Bruxelles, celle de Léopoldville (ndlr: ancienne appellation de Kinshasa) réunit à Léopoldville la classe politique. Mais cette rencontre fut un échec. Les Congolais se retrouvent alors un mois plus tard en conférence à Tananarive pour parler politique. A nouveau sans succès. Vient la conférence de Coquilathville (ancien nom de Mbandaka). Le Président provincial Moïse Tshombe et son ministre des Affaires étrangères Evariste Kimba prennent part à ce forum de Mbandaka et sont arrêtés. A nouveau, ce dialogue se solde par un échec. Est alors convoqué en juillet le Conclave de Lovanium, sur le site de l’actuelle Université de Kinshasa.

Pourquoi le Conclave de Lovanium?
Parce que Lovanium, la cité universitaire, est un coin reculé de la ville. Il est propice à l’analyse et la réflexion. Il s’agit en fait d’une session extraordinaire du Parlement (Assemblée nationale et Sénat) chargée de trouver une solution à la crise gouvernementale.
Conclave est un mot latin qui signifie «enfermé» et renvoie à l’élection du Pape où les cardinaux ne sortent jamais de leur réunion sans avoir élu le nouveau Souverain Pontife. Les parlementaires de l’époque avaient été éloignés de la ville et hébergés sur un campus entouré de fils barbelés en vue de trouver des solutions aux problèmes du pays.
Le Gouvernement Lumumba avait été investi par le Parlement. Il y a eu après un gouvernement des commissaires généraux, puis un gouvernement provisoire avec à la tête le Premier ministre Joseph Ileo. Il fallait donc mettre en place un gouvernement légitime. D’où l’investiture au Conclave de Lovanium de M. Cyrille Adoula comme Premier ministre. Le Premier ministre a gardé son fauteuil trois ans durant, de 1961 à 1964, fort de la légitimité du Parlement. Ce gouvernement a mis fin à la sécession katangaise, appuyé par des troupes des Nations Unies.
La première législature devait logiquement prendre fin le 30 juin 1964 mais une année avant cette échéance, le Président Joseph Kasavubu a convoqué une session du Parlement en vue de la rédaction de la Constitution, la loi fondamentale qui régissait le pays depuis l’accession à l’indépendance, était une loi provisoire. Mais les choses n’ont pas été du goût du Président Kasavubu, qui a décidé de fermer le Parlement en 1963.
Le Parlement a été mis en congé. Le Président Kasavubu a alors institué et convoqué une commission constitutionnelle qui a siégé à Luluabourg (l’actuel Kananga). Cette commission était formée de plusieurs représentants de la société civile, d’acteurs, des représentants des gouvernements provinciaux, des assemblées provinciales, des délégués des confessions religieuses, des syndicats et de la presse. Seuls les sénateurs et députés nationaux ne faisaient pas partie de cette Commission qui a élaboré la Constitution dite de Luluabourg.

Pourquoi avoir choisi Luluabourg?
Le souci était d’éloigner de Kinshasa - la Capitale - les membres de la commission en vue de faciliter l’analyse et la réflexion. Le Premier ministre Adoula, qui était un véritable démocrate, a remis sa démission le 15 juin 1964 parce que la législature tirait à sa fin. Mais le 1er juillet, le Président Kasavubu a désigné Moise Tshombe Premier ministre. Cependant, l’œuvre de la constitution de 1964, les préparatifs du référendum sont à mettre à l’actif du Premier ministre Adoula. En juillet, le Premier ministre Tshombe forme son gouvernement et organise le référendum constitutionnel à l’issue duquel la Constitution est approuvée. Au premier semestre 1965 ont lieu les élections des députés provinciaux, des députés nationaux et des sénateurs. Il ne restait plus que l’élection présidentielle. A deux mois de l’élection présidentielle intervient le coup d’Etat de novembre qui porte le colonel Mobutu au pouvoir et marque la fin du processus de démocratisation du pays.
Pendant 32 ans, le pays vit sous Mobutu et le cours de la démocratisation reprend avec la Conférence nationale souveraine, la CNS. C’est en avril 1990 que le Président Mobutu annonce, dans un discours, la reprise du processus de démocratisation interrompu. Il convoque ce forum important - la CNS - et c’est durant cette conférence que se tiennent les réunions dites de «Palais de marbre 1 et 2», toujours dans le but de rechercher des solutions à la crise. Finalement, la CNS clôt ses travaux avec la désignation de M. Étienne Tshisekedi (ndlr: président de l’UDPS) comme Premier ministre et la formation de son gouvernement. De même, un Parlement issu de la Conférence nationale souveraine est né. C’est le HCR (Haut Conseil de la République) avec un texte constitutionnel dit de la transition. Mais à ce stade, les acteurs politiques ne s’étaient pas mis d’accord. Comme le Président de la République n’avait pas promulgué l’acte de la transition pris par la CNS, les partisans du Maréchal continuaient à se réclamer de l’ancienne Constitution, celle de Luluabourg.
Les acteurs politiques réclament une nouvelle rencontre. De là le Conclave de Kinshasa qui a lieu au Palais de la Nation. Les travaux s’ouvrent en présence de toute la classe politique. Mais pendant les débats, l’opposition radicale claque la porte des discussions. C’est de ce Conclave de Kinshasa qu’est sorti le Premier ministre Faustin Birindwa (ndlr: issue de l’UDPS). Et là, le pays s’enfonce dans la crise avec deux textes pour régir la transition: celui de la Conférence nationale souveraine et celui du Conclave de Kinshasa. Sous l’empire de chaque texte se trouve un parlement (le HCR avec son gouvernement, le gouvernement de Tshisekedi, le Conclave de Kinshasa avec son texte avec comme Premier ministre Birindwa. La crise atteint son sommet.
Les acteurs politiques disent réclament un autre dialogue. Il est convoqué. Il s’agit des Concertations du Palais du peuple qu’il ne faut pas confondre avec les (ndlr: récentes) Concertations nationales. Il y a eu donc ces Concertations du Palais du Peuple qui produisent un acte constitutionnel. Les acteurs se mettent d’accord pour qu’un seul texte régisse la période de transition, un seul Gouvernement, un seul Parlement.
A ces Concertations, le HCR et l’Assemblée nationale qui comprenait les partisans du Maréchal Mobutu fusionnent pour donner le HCR PT (Haut Conseil de la République-Parlement de Transition). Il fallait aussi résoudre la question du Gouvernement. Les Concertations politiques organiseront l’élection du Premier ministre et Léon Kengo wa Dondo qui sort vainqueur (ndlr: contre Tshisekedi). A la suite de ces concertations, le gouvernement Kengo sera mis en place. Il fera trois ans jusqu’en 1997, date de la prise du pouvoir par l’AFDL qui balaie l’ordre institutionnel (ndlr: après 45 jours de Gouvernement du Général Likulia). Avec l’arrivée du Mzee Kabila, une nouvelle transition s’ouvre. S’ensuit une crise, la guerre d’agression, l’occupation du pays. Le Mzee déploie des efforts pour maintenir l’intégrité du pays. Intervient l’accord de Lusaka, puis l’assassinat du Mzee. En janvier 2001, le Rais accède à la Magistrature suprême.

Le président Joseph Kabila accède au pouvoir le 26 janvier 2001. Dans son discours d’investiture, il indique une direction à prendre pour son action politique…
Dans le discours d’investiture, le Cchef de l’Etat fait un état des lieux. Il donne des pistes pour que la paix revienne au pays, pour que les troupes d’occupation se retirent du pays, pour que le nouvel ordre politique amorcé depuis 1960 devienne réalité. Il annonce tout cela en affirmant qu’il mènera cette transition jusqu’à l’organisation des élections. C’est le Raïs qui réalise le vœu exprimé par le Maréchal Mobutu en menant le pays à la IIIème République. C’est par la politique appliquée, instaurée et suivie par le Président Kabila que nous connaissons la vie démocratique réelle et effective. Revenons à l’accession du Président Kabila au pouvoir. Au mois de mars, il réunit la classe politique à la Cité de l’OUA. C’était la première manifestation du dialogue sous son règne. Il appelle à la cité de l’OUA les forces vives, société civile et classe politique pour les écouter sur les problèmes du pays. C’est à la suite de ce premier dialogue que la tension a baissé dans le pays, ce qui aboutira à l’élaboration d’une loi sur les partis politiques et plus tard, sur les ASBL. Cette loi est toujours en vigueur.
Face à une autre grande crise résultant de l’agression du pays, il se rend au Dialogue inter-congolais à l’issue duquel est né un gouvernement de 1+4.
C’est à la suite de ce dialogue qu’a commencé une nouvelle transition, qui a conduit au référendum constitutionnel, aux élections et à l’avènement de la IIIIème République. C’est pendant la IIIème République que surgit la crise avec le mouvement du CNDP. A la suite de quoi, le président Kabila convoque un dialogue limité aux deux provinces du Nord et Sud Kivu. On parle de la conférence de Goma sur la paix et la sécurité. Plus tard, la rébellion du M23 aboutira à la rencontre de Kampala avec les «Pourparlers de Kampala». Vous comprenez que la vie politique de notre pays est profondément marquée par le dialogue.

Pourquoi le dialogue aujourd’hui quand les concertations nationales remontent à trois ans?
C’est un peu on pourrait dire par miracle que le pays n’a pas vécu la situation de 2006. Savez vous qu’en 2006, on a mis le feu à la Cour suprême et l’armée a dû affronter les milices de Jean Pierre Bemba dans la ville de Kinshasa? Lors des élections de 2011, les acteurs politiques majeurs n’ont pas pu faire campagne dans la ville de Kinshasa, tellement le climat était empoisonné! En province, au Sud Kasaï et au Kasaï Occidental, il y eu des violences terribles! Il faut éviter la reproduction de ces violences. Il n’y a qu’une solution: que les acteurs politiques se rencontrent et échangent. Ensuite, il y a des problèmes concrets qui se posent. La CENI avait publié un calendrier électoral aussitôt contesté. On a exigé un calendrier global. La CENI l’émet, il est aussitôt rejeté. Il n’y a qu’une solution: que les acteurs politiques se retrouvent dans le cadre que le Chef de l’Etat a appelé Dialogue national, politique et inclusif. Comment arriverions-nous à des solutions consensuelles si nous ne nous parlons pas? Le dialogue c’est pour que sur toutes ces questions - la classe politique assistée des forces vives - expriment un consensus. C’est ce que nous allons faire.

Qui doit convoquer ce Dialogue?
Nous sommes dans une collectivité étatique. Et cette collectivité a un Chef qui est le Chef de l’Etat et c’est tout naturellement à lui qu’il revient de convoquer le Dialogue. Le président Kabila, dans cette qualité, est signataire de l’accord cadre d’Addis-Abeba. Cette question sur l’autorité qui devait convoquer les Concertations nationales s’est aussi posée, mais avez-vous vu les signataires de l’accord cadre, les membres du Conseil de sécurité des Nations Unies participer à la clôture des Concertations nationales?
Aujourd’hui, le facilitateur du Dialogue est désigné par l’Union Africaine. C’est vous dire que c’est le Chef de l’Etat qui doit convoquer le Dialogue. Non seulement sur base de l’accord cadre d’Addis-Abeba, mais aussi sur base de l’article 69 de notre Constitution qui l’institue Garant de notre Constitution. Qui veille au fonctionnement régulier des institutions.
Retranscrit
par LE SOFT.

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