Cabinet Sama, la taille idoine
  • mar, 23/03/2021 - 21:57

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1522|MARDI 23 MARS 2021.

Une recette qui a marché et marche ce jour dans un Congo aux dimensions de sous-continent avec son presque demi-million de tribus et de cultures : ce sont des chambres législatives de 600 membres, ses 26 parlements et gouvernements locaux. On peut critiquer l’opération démembrement du territoire, elle a atténué des tensions, fait respirer le pays, donné espoir, proposé des réponses qui doivent être consolidées.
Dans un contexte de parole libérée, s’empêcher d’ouvrir des espaces, c’est accepter qu’une minorité dont la légitimité peut être valablement contestée soit pour n’avoir eu aucun apport au résultat, soit pour n’avoir aucun mérite reconnu, soit pour n’être utile à rien à l’heure de la redevabilité, continue de se vautrer quand peut-être les plus méritants se trouvent hors circuit. Le discours développé jeudi 18 mars 2021 par le Premier ministre Sama Lukonde au sortir de sa rencontre à la Cité de l’Union Africaine avec le Président de la République portait sur la communication et la mobilisation en insistant sur des strates de citoyens qui devraient être prises en compte dans la composition de l’Exécutif national à condition que compétence et expérience prennent place. Une analyse de KKM.

Deux petites phrases qui traverseront les époques que dans les pays d’Afrique de l’Est et ceux des Grands Lacs on attribue au Président ougandais Yoweri Kaguta Museveni que rien, depuis plus de trois décennies, ni au pays, ni à l’extérieur n’a réussi à bouger, et qu’au contraire, en Afrique et dans le monde, tous unanimement, généralement et publiquement, saluent et qui peuvent servir de repère aux décideurs à l’heure de lever des options comme c’est présentement le cas au Congo.

Deux phrases prononcées par le Chef de l’ État ougandais qui, dans le système politique de son pays, est aussi Chef du Gouvernement quand un jour en public il se vantait ou se défendait face à des critiques après qu’il eut formé un Gouvernement pléthorique ou éléphantesque : «J’ai formé un Gouvernement de 100 ministres, j’ai fait l’économie de 1.000 guerres».

Entre le besoin technique mais politiquement dangereux de réduction des tailles des exécutifs pour faire droit à l’efficacité dans un contexte d’érosion systémique des moyens du Trésor public, donc de réduction drastique du train de vie quant aux dépenses de l’État et malheureusement d’investissements dans les infrastructures sociales et la nécessité d’apporter des réponses à des besoins élémentaires réels et d’éviter d’exaspérer des tensions sociales que des hommes politiques faisant le guet auraient hâte à exploiter, et donc de réduire sinon de contenir des tensions dans des proportions tenables, dans un pays constamment en guerre, les options politiques à lever requièrent infiniment tact et doigté.

Il va de la politique comme d’autres domaines : à l’heure des choix, il faut toujours savoir revisiter les recettes qui ont marché sous d’autres cieux, dans des contextes semblables et s’interroger pourquoi ce qui marche ou a marché ailleurs ne marche pas chez nous.

La France a constamment ses yeux rivés sur les pays nordiques et sur l’Allemagne aux recettes pragmatiques reconnues et s’inspire fréquemment, s’adaptant, de ces modèles par exemple d’Outre-Rhin qui ont redressé ce pays détruit par deux guerres mondiales et fait de lui la première puissance économique européenne. Rien au fond dans la vie n’est à inventer et le fil à couper le beurre ne saurait être inventé.

Museveni n’est pas n’importe qui. Né le 15 août 1944, fils d’un riche propriétaire terrien ougandais, ce Manyankolé, l’une des ethnies des Himas et Tutsis, tisse sa toile au combat.

LA RECETTE QUI MARCHE.
Depuis 35 ans à la tête de son pays, celui qui, à sa prise de pouvoir en 1986, fut appelé «le Bismarck des Grands Lacs», est aujourd’hui l’un des plus anciens Chefs d’ État en place en Afrique et dans le monde.

Il fait des études de sciences et d’économie dans la Tanzanie révolutionnaire et anti-colonialiste de Julius Nyerere, à l’Université de Dar es Salaam, fréquente des mouvements nationalistes radicaux, se lie d’amitié avec l’historien guyanien Walter Rodney et John Garang, dont il soutient, à son arrivée au pouvoir, la guérilla au Soudan au sein de l’Armée Populaire de Libération du Soudan, rejoint les «guérilleros communistes» des maquis mozambicains du Frelimo, le Front de Libération du Mozambique, retourne en Ouganda en 1970, intègre les services secrets du président Milton Obote.
Il s’exile dans cette même Tanzanie après le coup d’État d’Idi Amine Dada.

A la tête de son NRA, l’Armée de Résistance Nationale, il chasse du pouvoir le bouffon dictateur, aide Milton Obote à reprendre le pouvoir, devient son ministre de la Défense, se présente à la présidentielle qu’il perd mais en conteste les résultats, investit une caserne et s’empare d’un stock d’armes, reprend le maquis et prend le pouvoir par un coup d’ État militaire avec l’aide de son ami, l’actuel président rwandais Paul Kagame qu’il accompagnera à son tour dans la prise du pouvoir à Kigali contre le président Hutu Juvenal Habyarimana.

En s’installant au pouvoir, Museveni hérite d’un pays en ruines, d’une économie dévastée par quinze ans de guerre civile, d’une administration à l’abandon. Il instaure un État militarisé, peu soucieux des droits de l’opposition, l’armée UPDF surpuissante veille au grain, malmène l’opposition dont il jette en prison sans pitié les membres qui osent affronter l’homme fort à la présidentielle (Warren Kizza Besigye Kifefe en 2001 et en 2006, Robert Kyagulanyi Ssentamu plus connu sous le nom de Bob Wine en 2021).

Museveni travaille à restaurer la paix dans le pays, réussit à mettre fin à la guérilla sanguinaire de l’Armée de Résistance du Seigneur (la Lord’s Resistance Army, LRA de Joseph Rao Kony) et fait redémarrer l’économie grâce à un accord avec les institutions financières de Bretton Woods, Fonds monétaire international et Banque mondiale.

Dans les années 1990, l’Ouganda connaît un taux de croissance de 6,5 %, puis de 10 % en 1994-95. En vingt ans, le pays divise par trois son taux de pauvreté. Plus de 2.000 km de routes réhabilités ou reconstruits (plus de 50 % du réseau interurbain), les rues de Kampala réparées ornées de trottoirs, des hôpitaux et des dispensaires remis en service, un réseau de communications téléphoniques performant relie la majorité des villes du pays. Le contraste avec le passé est saisissant.

Très vite, ce pays aux confins de l’Afrique anglophone et francophone devient comme le Ghana à l’Ouest du Continent, le «bon élève», «l’enfant chéri» du FMI et de la Banque mondiale, le nouveau pôle de croissance et de stabilité de la région. Il attire des investissements étrangers de plus en plus importants...

L’Ouganda qui a vu défiler neuf présidents en vingt ans - un record dans le monde - et dont la plupart (Yusufu Lule, 1979, Godfrey Binaisa, 1980, Paulo Muwanga, 1980, Bazilio Olara Okello, 1985, Tito Okello, 1986) sont restés moins d’un an en place, qui fit la honte des Africains, qui avait été désigné par Churchill comme la «perle de l’Afrique», a réussi à redresser son front pour reprendre une parole de l’hymne national congolais, grâce à Yoweri Tibuhaburwa Kaguta baptisé Museveni (de « seven» en hommage au septième bataillon du King’s African Rifles, régiment britannique d’infanterie coloniale au sein duquel des milliers d’Ougandais ont servi lors de la IIème Guerre mondiale).

Demain, cet homme sera Mustafa Kemal Atatürk, fondateur et premier président de la Turquie de 1923 à 1938 qui bâtit son pays qui fait trembler désormais des régions du monde ; le général Park Chung-hee en Corée du Sud qui permit de 1962 à 1979 à la Corée du Sud de prendre son essor économique en se hissant parmi les vingt nations les plus riches de la planète ; le premier Premier ministre de Singapour Lee Kuan Yew qui transforma de 1959 à 1990 un petit avant-poste colonial sous-développé et sans ressources naturelles en un pays avec une des économies les plus florissantes de toute la Terre.

Depuis, Museveni à la fois chef de l’État et chef du gouvernement dans ce régime présidentiel ougandais a fait de son pays «un modèle et un laboratoire des politiques libérales appliquées au continent» avec l’arrivée d’une véritable classe moyenne.

RECHERCHE DE L’ACCALMIE.
Désigné en juillet 2020 par son parti, le MRM, le Mouvement national de résistance comme son candidat à la présidentielle de 2021 en vue de «continuer à diriger le Mouvement et l’État en 2021 et au-delà pour éliminer les freins à la transformation», la commission électorale valide sa candidature et l’homme qui en était à briguer un sixième mandat, est réélu le 14 janvier avec 58,6% face au leader de l’opposition, la star de l’Afrobeats Bobi Wine (34,8%).

Entre-temps, la Constitution a été une fois encore modifiée afin de supprimer la limite d’âge de 75 ans et de permettre à Museveni atteignant 76 ans en 2021, de prendre la course.

Ce jour-là, les députés se sont battus dans les travées à coups de chaises, la rue transformée en théâtre de violents combats mais l’amendement a été validé par les hauts juges du pays. Quelle recette Museveni a appliquée en Ouganda pour atteindre ces résultats spectaculaires dans un pays qui fut longtemps la honte du Continent, où aucun service ne fonctionnait?

La même que celle que l’ami Paul Kagame va utiliser au Rwanda qui fait du pays des mille collines un modèle après qu’il a connu le premier génocide africain qui fit entre 800.000 et un million de morts. Il faut en effet du résultat dans l’urgence, ce qui passe par une gouvernance pragmatique d’efficacité.

Des résultats inatteignables sans un minimum de consensus au sein de la classe politique. Existe-t-il une autre recette quand on recherche l’accalmie dans un contexte de crise économique exaspérée, de chômage total sinon celle de faire montre de tact et de doigté pour tenter d’atténuer des tensions sociales?
Surtout, ne nous mentons pas à nous-mêmes.

Une recette qui a marché et marche ce jour dans un Congo aux dimensions de sous-continent avec son presque demi-million de tribus et de cultures : ce sont des chambres législatives de 600 membres, ses 26 parlements et gouvernements locaux. On peut critiquer l’opération démembrement du territoire, elle a atténué des tensions, fait respirer le pays, donné espoir, proposé des réponses qui doivent être consolidées.

Dans un contexte de parole libérée, s’empêcher d’ouvrir des espaces, c’est accepter qu’une minorité dont la légitimité peut être valablement contestée soit pour n’avoir eu aucun apport au résultat, soit pour n’avoir aucun mérite reconnu, soit pour n’être utile à rien à l’heure de la redevabilité, continue de se vautrer quand peut-être les plus méritants se trouvent hors circuit.

Le discours développé jeudi 18 mars 2021 par le Premier ministre Sama Lukonde au sortir de sa rencontre à la Cité de l’Union Africaine avec le Président de la République portait sur la communication et la mobilisation en insistant sur des strates de citoyens qui devraient être prises en compte dans la composition de l’Exécutif national à condition que compétence et expérience prennent place.

METTRE LE POUVOIR EN CAPACITÉ.
Il reste de mettre au travail ces pouvoirs qui doivent s’inventer des moyens propres dans le cadre d’une autonomie de gestion. Tout comme l’Exécutif national qui aurait des ministères qui devraient faire montre de capacité d’inventivité pour ne pas avoir à attendre les réalisations des seules régies financières sous Covid-19 inexistantes.

Le «Gouvernement des guerriers» que veut mettre en place le Président de la République signifie compétence avérée, réelle expérience, appel à toutes les strates du pays et donc, comme le prévoit la Constitution («La composition du Gouvernement tient compte de la représentation nationale», art. 90, al. 3), respect des équilibres géo-politiques.

Il n’existe pas de programme de développement qui réussisse nulle part sans un minimum d’ordre, de discipline, d’engagement. Un avion n’ira jamais loin s’il a à son bord des passagers chantant, hurlant, se propageant dans les couloirs, des ivrognes s’empiffrant d’alcools, des hommes armés pointant leurs fusils sur l’équipage.

Si la liberté d’opinion est un signe de démocratie, elle demande à être régulée en évitant excès et travers. Un pays où tout se dit et s’écrit, dans le désordre total, sans que ceux qui s’adonnent à ce jeu n’encourent aucun risque, est perdu.
Au Congo, les moyens d’information qui voient le jour à longueur de journée sans justification professionnelle ou commerciale sont des outils d’intoxication, de propagande et de chantage vivant du financement politique national voire étranger et de la corruption.

Sans une information responsable, assumée, c’est la politique qui est tirée vers le bas.
Pourquoi l’Ouganda et le Rwanda qui pratiquent une politique d’absence du pluralisme à l’occidentale ne sont nulle part critiqués ou bannis mais cités comme des modèles de gouvernance, applaudis par la société mondiale?

Le Congo peut-il un jour atteindre des résultats durables, mettre le cap sur l’objectif d’émergence et redevenir un pays respecté en Afrique et dans le monde dans un désordre politique aussi parfait introuvable, sans un minimum de consensus et donc d’apaisement politique?
KKM.


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