Assises du secteur de l’électricité: un moulin à vent?
  • ven, 25/05/2018 - 06:11

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.

Agents et cadres de la Snél viennent au travail pour signer l’acte de présence et se défiler, percevoir le salaire et investir dans les activités personnelles.

Lundi 21 mai, le ministère de l’Energie a ouvert pour cinq jours à Kinshasa une conférence pour la relance du secteur de l’énergie électrique dans notre pays. Placée sous le haut patronage du Président de la République, la cérémonie d’ouverture a été présidée par le Premier ministre Bruno Tshibala en présence des ministres de son gouvernement, des gouverneurs des 26 provinces du pays, du représentant de la Banque mondiale, des hauts cadres de l’administration publique, du patronat du secteur privé, des dirigeants de la Société nationale d’électricité, des opérateurs et de grands consommateurs du secteur ainsi que de nombreux experts et invités.
Le texte ci-après fait part d’impressions aux antipodes de l’euphorie générale des initiateurs alors que s’observent de la plupart des participants un goût de cendre et un sentiment du déjà vu ainsi qu’une perplexité qui cache mal un dépit. Le constat de la faillite et de l’incapacité morbide et généralisée des Congolais à gérer avec efficience un secteur aussi vital et stratégique qu’est l’électricité, assis sur un potentiel naturel aussi immense et prenable est si sidérant que la gêne était fort perceptible dans au Pullman-Grand HôtelKinshasa. Le climat était lourd. Dépit, lassitude, exaspération, dégoût et indignation des observateurs avertis et des consommateurs industriels face à l’inconscience et à la vacuité des autorités congolaises du secteur et des dirigeants de la Snél, et aux discours stéréotypés de ceux-ci. «Le problème majeur de la Snél et de l’électrification du pays réside essentiellement sur le fait que les gens ne travaillent pas du tout. Les agents et cadres de l’entreprise publique, hautement stratégique qu’est la Snél, bien payés et choyés, refusent totalement de se mettre à l’ouvrage et de se concentrer au travail. Ils viennent au travail pour signer l’acte de présence et se défiler, percevoir le salaire et investir dans les activités personnelles, participer à des réunions et aux commissions pouvant donner lieu aux primes ou aux missions de service lucratives à l’intérieur ou à l’extérieur du pays. Ces agents et cadres sont-ils incompétents? Non. Tous les niveaux des diplômes universitaires, tous les grades des professeurs d’université, toutes les filières des spécialités scientifiques et techniques avec des stages et perfectionnements à travers le monde, sont réunis à la Snél. Des milliards de dollars de contribuables congolais et de partenaires techniques et financiers au développement ont été engloutis des décennies durant à la Snél. Le résultat est là, cinglant, pathétique, scandaleux: l’indigence nationale en matière d’accès à l’électricité, 17%. Au bas de l’échelle africaine, bien évidemment. Le problème se situe forcément au niveau du leadership de l’entreprise. Lequel ploie probablement - évidemment - sous les charges des pressions et des sollicitations horizontales, verticales, et pourquoi pas transversales, de toutes sortes, aussi traumatisantes les unes que les autres sur la tête du DG et du DGA au point que ces deux membres qui constituent la haute direction de l’entreprise vivent quasi uniquement au rythme de la «réunionite», ces réunions qui s’enchaînent et se succèdent de manière interminable d’un bout à l’autre de leurs mandats de dirigeants de l’entreprise. Le résultat sur terrain restant évidemment le même.

Si par malheur, ces dirigeants manquent du caractère pour résister aux divers trafics d’influence et autres pesanteurs traumatisantes, s’ils n’appliquent pas la tolérance zéro en matière d’immoralité interpersonnelle, de laxisme professionnel et de mauvaise gestion financière au sein des différents services de l’entreprise et s’ils ne sont pas suffisamment rigoureux pour imposer le strict respect des normes techniques et managériales dans la gestion de l’outil de production et des équipements et infrastructures d’appui, et même dans le simple maintien de l’ordre et de la salubrité dans les lieux de travail, c’est l’échec total et la régression de l’entreprise, avec à contrario, l’accroissement exponentiel des goulots d’étranglement et des problèmes de tout genre.
En conséquence, d’une part, le circuit vertical de transmission des instructions de la hiérarchie et de remontée des résultats des actions exécutées par la base au sein des structures de l’entreprise est sclérosé et bloqué; et d’autre part, en vue d’éviter les grèves et autres mouvements sociaux nocifs à l’existence de l’entreprise, la haute direction est obligée de répondre quasi intégralement aux revendications et privilèges des agents et des cadres, sans s’assurer du retour au rendement maximal, performant et équivalent au profit de l’entreprise. Aussi, sans s’en rendre compte, il y a un climat vicieux et pernicieux qui a pris durablement corps, tel un bloc de menhirs, à la Snél. Climat qui fait que la grande majorité des agents et cadres en soit réduite à l’inactivité et à la passivité, tout en bénéficiant de tous leurs avantages et rémunérations tandis que la haute direction «achète» littéralement la paix sociale en cédant à toutes les revendications.
De ce fait, et d’après un témoignage d’un cadre de l’entreprise, seuls 20% des cadres de toute la Snél travaillent effectivement et sont permanents à leurs postes. Les 80% autres agents et cadres se pavanent, se déplacent et s’absentent, pourvu que chacun se soit assuré de la signature de sa présence sur la liste quotidienne.
En effet, ces 80% d’agents et cadres qui ne travaillent pas, sont en permanence et aux heures de service:
1. malades à la maison ou à l’étranger;
2. aux Affaires Étrangères pour les passeports d’enfants et épouses;
3. à l’ambassade pour les visas des enfants et épouses;
4. à l’aéroport pour déposer ou récupérer les enfants ou épouses;
5. au garage pour la réparation des véhicules;
6. à leurs chantiers en vue de suivre les travaux de construction;
7. à l’hôpital pour voir un collègue ou membre de famille malade;
8. à la morgue pour la sortie d’un corps;
9. au deuil;
10. au cimetière;
11. en ville pour des courses;
12. à une réunion au Ministère ou quelque autre part à l’extérieur;
13. à la banque pour toucher le salaire (journée bancaire).
C’est la valse au quotidien d’une entreprise publique (en transformation) composée d’agents et cadres nationaux de toutes les spécialités universitaires qui trahissent la nation bienfaitrice par un manque total de patriotisme et de conscience professionnelle. Dans ces conditions:
1. comment gérer avec efficience Inga 1 et 2?
2. comment gérer les futurs Inga 3 et Grand Inga?
3. comment gérer avec efficience la multitude des centrales hydroélectriques existantes à travers le pays?
4. comment élaborer des études de construction de nouvelles centrales nécessaires pour l’électrification des entités du pays?
5. comment gérer avec efficience les projets en cours de construction des centrales hydroélectriques une fois achevés?
6. comment gérer avec efficience la distribution et la maintenance du réseau électrique au bénéfice des ménages et des structurelles fonctionnelles (industrielles, minières, agricoles, sociales, administratives, etc.) existantes sur l’ensemble du pays?
7. comment aider le Gouvernement à atteindre le satisfecit dans la mise en œuvre de sa politique énergétique sur l’ensemble du pays?
Bien évidemment, il n’est pas nécessaire de privatiser l’entreprise ou même sa gestion pour éradiquer toutes ces tares qui bloquent inutilement et gravement le progrès et le développement de cet important et stratégique instrument de croissance socio-économique du pays.
Les grands pays développés (la France avec EDF, l’Afrique du Sud avec ESKOM, et beaucoup d’autres) restent maîtres de leurs entreprises de production énergétique (France 85,6% d’EDF, les 14,4% cédés à l’actionnariat seulement en 2004), et de ce fait, de leurs politiques en matière d’électricité. Pendant que son compatriote et collègue ingénieur technicien supérieur de l’ISTA, chef de division œuvrant à l’administration du ministère de l’Energie ploie dans la misère et s’efforce à être permanent au quotidien dans un bureau crasseux, obscur, sans confort et se débrouille péniblement pour survivre avec sa famille avec un maigre salaire équivalent au taux du jour à US$ 90/mois, le chef de division de la Snél lui, n’est jamais présent à son bureau de manière permanente, sinon au hasard pour des tâches ponctuelles et sporadiques, sinon pour consulter ses emails, naviguer sur Facebook, jouer au jeu de cartes solitaire, se pavanant et papillonnant ici et là, lui s’en sort avec un salaire mensuel de US$ 2.200 bien indexé au taux du jour. Payé régulièrement depuis plus de 20 ans pour la plupart des cadres, ce salaire permet au cadre de la Snél d’être promoteurs immobiliers ou autres businessmen, grâce à ce providentiel fonds de commerce que constitue leur qualité de cadres à cette entreprise publique. L’irrationalité est criante. La nature elle-même s’étonnerait que l’on organisa chaque année des conférences, ateliers et séminaires pour la relance d’un secteur pour plancher sur des problèmes ordinaires et communs à toutes les entreprises du même type dans le monde, alors que le mal est entièrement ailleurs. Il suffit que dirigeants, cadres et agents de la Snél soient sérieux, rigoureux, honnêtes, assidus, consciencieux et patriotes, que Inga et toutes les autres centrales électriques fonctionnent à plein régime, les réseaux seront intégralement assainis, il n’y aura plus de délestage, les projets en cours seront correctement achevés, l’électricité coûtera moins cher aux ménages, et des microprojets d’énergie propre et renouvelable appuyés par la Snél naîtront partout à travers le pays et on sera définitivement délivré des pollutions atmosphériques et sonores des groupes électrogènes qui pullulent à travers le pays. Un jour, si la justice de la RD Congo continue à faillir et si la bonne gouvernance ainsi que la rationalité et l’orthodoxie financière ne s’installent pas les mœurs des dirigeants, la nature demandera des comptes aux uns et aux autres.

Nous Congolais, nous devons savoir ce que nous voulons. On ne peut pas chercher la satisfaction des objectifs d’une politique sectorielle tout en laissant se perpétuer à l’interne des comportements qui vont quotidiennement dans le sens contraire des règles universelles établies pour la gouvernance du secteur visé. En effet, à quoi sert-il d’organiser des conférences de relance du secteur si les ressources humaines sont si laxistes, défaillantes et corrompues, sans jamais que l’on s’y penche sérieusement. En réalité, les différentes restructurations et le découpage territorial du pays en zones de gestion énergétique, la privation de l’initiative des activités électriques (fin du monopole Snél) ainsi que la cession de la gestion de la SNEL aux partenaires-actionnaires (Snéls.a.), ne sont pas de mauvaises options en soit.
Elles seront certes une opportunité de prospérité pour certains, les étrangers et leurs amis congolais en premier, et probablement d’amélioration du service électrique, à un coût forcément peu social. Ce qui est sûr, la population aura fort à faire pour se retrouver dans toutes ces complexités réformatrices. Mais, la Snél mourra de son cancer managérial si une ablation des mentalités n’y est pas drastiquement appliquée.
JEAN YAKUTU OTULO,Correspondant occasionnel.

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