100 Jours rassurants
  • mer, 08/05/2019 - 05:03

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Il y a ceux qui comptaient depuis l’investiture jeudi 24 janvier 2019; il y a ceux qui égrenaient les jours depuis qu’il a pris possession vendredi 25 janvier des clés du Palais de la Nation et s’est assis sur le fauteuil présidentiel; d’autres depuis le lancement du Programme d’urgence des 100 jours, le 2 mars 2019, place de l’Echangeur. Dans tous les cas, si toutes les réponses ne sont pas au rendez-vous, le pays a pris la bonne direction. La crédibilité est au rendez-vous; du coup, la légitimité; du coup, l’apaisement. Des trois grands favoris de la Présidentielle du 30 décembre 2018 - Emmanuel Ramazani Shadari appuyé par l’ex-majorité présidentielle, Martin Fayulu Madidi porté par quatre gourous politiques - Katumbi, Bemba, Muzitu, Mbusa Nyamwisi, Tshisekedi - nul autre que ce dernier qui réponse légitimement au nom de son père n’aurait passé l’incroyable épreuve, celle de la prise du pouvoir. Ne nous mentons pas. Certes, les débuts n’ont pas été faciles. L’auront-ils été, en France, pour Emmanuel Macron? Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombi a pourtant tenu bon. Les prochains jours s’annoncent rassurants grâce à la reconnaissance internationale et à l’apaisement sur le front interne. Le front des libertés a été tenu, aucune manifestation n’a dérapé. Et, pour couronner le tout, alors que Fayulu annonçait son OTT, Opération Tremblement de Terre, celle-ci n’est pas venue.
D. DADEI.

L’extérieur dit être aux aguêts.
Chercheuse à l’ISS, Institut pour les stratégies sur la sécurité et spécialiste Congo, Stephanie Wolters a fait ses commentaires sur Rfi, au micro de la journaliste Léa-Lisa Westerhoff, à l’occasion des 100 premiers jours de Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, évoquant le poids irréel («la majorité accablante») du Front Commun pour le Congo de l’ex-président Kabila à l’Assemblée nationale, «les difficultés de trouver un compromis» avec une Kabilie dont l’extérieur ne veut pas, les promesses des 100 premiers jours.

Quel bilan faites-vous des 100 premiers jours au pouvoir de Félix Tshisekedi?
Ce que nous pouvons dire, tout d’abord, c’est que les contraintes politiques, autour de lui, dues à la victoire du FCC dans les Assemblées provinciales, à l’Assemblée nationale et au Sénat, sont réelles. Ensuite, je crois que Tshisekedi essaie de poser des grands axes comme par exemple la libération de quelques prisonniers politiques ou encore le fait que Moïse Katumbi puisse rentrer bientôt au pays. Ce sont là des gestes symboliques. On ne sait pas s’il va continuer sur cette voie mais je crois qu’il a compris qu’il fallait quand même montrer à la population qu’il est un peu différent. Cependant, il est très difficile de parler d’un vrai bilan parce qu’il n’y a toujours pas de gouvernement ni de Premier ministre. Or, ce sera surtout à partir de là que l’on saura vraiment juger la direction que prendra ce gouvernement.

Comment cela? A quel point ce gouvernement est-il crucial pour pouvoir juger l’action de Félix Tshisekedi?
D’abord, cela nous dira qui, au sein de la famille politique de Kabila, est encore dans le circuit intérieur proche de Kabila. On saura un peu et ainsi comment les choses se dessinent au sein même de cette élite kabiliste du FCC. On saura aussi si Tshisekedi a pu quand même imposer sa volonté par rapport aux différents ministères. Évidemment, il y a les ministères-clé comme la Justice, la Défense, l’Intérieur ou celui de l’Economie. On sait que les différents partis se battent un peu pour avoir ces postes importants. On saura, par conséquent, à quel point Tshisekedi a pu ou non s’imposer. En même temps, cela nous dira également beaucoup sur la direction que prendra le gouvernement. Si Kabila réussit et s’il met des gens que l’on connaît depuis longtemps - les caciques de son administration - à des postes-clés, on saura non seulement qu’il n’y a pas vraiment de changement mais aussi que Kabila lui-même n’est pas prêt à montrer qu’il prend la direction du changement.

Vous dites que Félix Tshisekedi est contraint?
Oui, absolument (...). Il y a, en effet, les ambitions de l’élite politique de Kabila et celles de Kabila lui-même qui vont à l’encontre des ambitions de Tshisekedi qui lui veut se montrer indépendant et montrer que c’est vraiment une nouvelle ère.

Cent jours après, il y a un certain nombre de grands travaux, en effet, de routes qui ont été construites mais aussi tout un tas de promesses qui n’ont pas été tenues. On a le sentiment qu’il y a un décalage entre les annonces notamment au sein de ce programme et la réalité aujourd’hui...
Il n’a pas les moyens de sa politique. Il n’a pas du tout la mainmise sur l’appareil sécuritaire et il n’a même pas encore la mainmise sur les finances de l’État. Il a une équipe qui est jeune et qui est en train de s’habituer à ce travail. Il y a donc énormément de défis pour qu’il puisse commencer réellement à traiter les grands problèmes de la RDC, c’est-à-dire l’insécurité à l’Est, la corruption, la mauvaise gouvernance, l’état socio-économique et tout cela. Je crois que là, il a peut-être trop promis. La question, c’est de voir si la population met le blâme sur Tshisekedi ou bien sur Kabila.

Sur cette question de la rupture ou de la continuité, est-ce qu’on peut avoir un scénario du type angolais? Est-ce que Félix Tshisekedi pourrait être le Lourenço de Kabila par exemple?
En Angola, les contraintes autour de Lourenço étaient beaucoup moins importantes que celles autour de Tshisekedi. La dynamique est très différente. João Lourenço a dû se battre évidemment avec la famille Dos Santos et ceux qui y étaient liés. Tshisekedi doit, lui, se battre avec tout un système qui n’est pas parti, qui a sa force, ses institutions et qui a ses leviers politiques et constitutionnels. C’est très différent.

Un vrai changement est-il possible, en réalité, avec cette configuration?
Si Tshisekedi réussit à faire quelques avancées importantes et s’il a la volonté de prendre de vrais risques, je crois que oui, parce que le FCC ne restera pas toujours intact. C’est impossible que cette alliance de beaucoup de partis qui existe justement parce que Kabila était au pouvoir, reste intacte. Si des gens du FCC commencent à venir vers lui, cela changera peut-être tout doucement l’espace politique en RDC.


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